Talons aiguilles

Talons aiguilles
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Becky Del Paramo, chanteuse pop idole des années soixante, revient à Madrid après quinze années d’absence. Elle y retrouve sa fille Rebecca, qu’elle n’avait pas revue depuis son départ. Rebecca est devenue présentatrice sur une grande chaîne nationale et a épousé Manuel, un ancien amant de Becky. Mais leur couple bat de l’aile et Manuel confie à Becky qu’il compte divorcer. Un soir, Manuel est retrouvé mort chez lui....

CONSECRATION

César du meilleur film étranger en 1991, Talons aiguilles demeure à ce jour le plus grand succès d’Almodovar en France et dans nombre d’autres pays européens, ainsi qu’ aux Etats-Unis où le trublion madrilène fut découvert en 1987 avec Femme au bord de la crise de nerf. Il s’agit surtout d’un tournant dans la carrière d’Almodovar, souvent considéré comme un réalisateur à part, difficile d’accès; Talons aiguilles lui permet ainsi d’élargir son public, frustrant par la même occasion ses fans de la première heure qui se vantaient égoïstement d’être une petite minorité à pouvoir apprécier ses œuvres. Mais outre ces pures préoccupations de reconnaissance, Talons aiguilles demeure avant tout une œuvre majeure d’un réalisateur qui n’a eu de cesse de se réinventer au cours de ses films, et d’imposer sa griffe incisive dans le vaste paysage du cinéma européen. Grâce à lui, notre attention s’est portée sur une nouvelle production espagnole que nous avions laissée de côté depuis Bunuel, et qui a permit par la suite à d’autres réalisateurs talentueux de se faire connaître. Disons-le tout de suite, s’il est le plus abordable, Talons aiguilles n’est pas le chef-d’œuvre absolu d’Almodovar. Le recul nous permet, plus particulièrement au vu de ses films suivants, de le situer dans cette période dite «édulcorée» où nous pouvons aussi trouver Attache-moi et Kika, et qui prendra fin avec La fleur de mon secret où Almodovar commence à aborder les sujets plus graves qui le mèneront de Cannes à Hollywood. Il est cependant le film le plus abouti de cette période, l’histoire réussissant ce merveilleux compromit entre une forme accessible au grand public et un fond où se retrouvent tous les thèmes chers à Almodovar: la femme, l’illusion, l’artifice et la mort. Car si nous trouvons là tous les ingrédients de base d’un thriller, ce n’est que pour mieux nous tromper sur les intentions véritables de son auteur.

SI MAMAN SI…

Almodovar confiait lui-même qu’il n’avait jamais conçu Talons aiguilles comme un film policier. Le propre du film policier en effet est de suivre une enquête, un inspecteur à la recherche d’un coupable dont nous ne découvrons la véritable identité qu’aux derniers instants du film. L’intérêt est ici tout autre: nous connaissons le meurtrier pratiquement dès l’instant où est annoncée la mort de Manuel. Almodovar n’a jamais cherché à faire douter de la culpabilité de Rebecca, qui avait déjà volontairement provoqué la mort de son beau-père dans le passé afin de permettre à sa mère de faire carrière au Mexique. Voyons par contre de quelle manière les deux femmes au cœur de l’histoire vont évoluer face à la progression de l’enquête, voyons comment la mère va réagir face à la culpabilité de sa fille, voyons enfin comment les deux femmes vont arriver à tromper la vigilance du juge Miguel, chargé de "l’enquête", dans un dernier acte rédempteur. Car Talons aiguilles, c’est avant tout une histoire de femme. L’histoire d’une mère absente qui ne s’est jamais préoccupé de sa propre fille, d’une fille qui aime sa mère par-dessus tout, et de leur confrontation après des années d’absence. C’est aussi une histoire sur l’illusion et l’artifice: privée de sa mère, Rebecca reporte son affection sur une de ses "copies", la meilleure, à savoir Lethal, le travesti qui imite en play-back Becky Del Paramo dans sa période espagnole. Lorsque Becky rencontrera Lethal, celui-ci lui donnera un sein en souvenir, symbole évident de la maternité qu’il lui transmet. Il s’avèrera ensuite que Lethal n’est autre que le juge Miguel, chargé d’enquêter sur le meurtre de Manuel et convaincu à tort de l’innocence de Rebecca, qu’il aime passionnément. Ce qui facilitera la tromperie de Rebecca et Becky lorsque cette dernière s’accusera du meurtre à la place de sa fille, peu avant de mourir. Enfin, lors des aveux de Rebecca, tout se passe à la télévision, en direct, toujours dans ce rapport factice entre la réalité et le média. C’est d’ailleurs, selon le réalisateur, cette scène qu’Almodovar imagina en premier, avant de développer le reste de son histoire.

…MAMAN SI TU VOYAIS MA VIE

Sous ses apparences de film policier, dont il n’emprunte que quelques éléments tel que le meurtre, le juge, la police, l’enquête, et qui lui permettent de se rendre accessible à un plus large public, se cache en réalité un mélodrame poignant, haut en couleur, sur l’absence de la mère et le désespoir d’une fille à la recherche de l’amour maternelle. Cette incontestable réussite tient en grande partie du talent de ses interprètes, Marisa Paredes et Victoria Abril en tête. La première incarne cette femme mégalomane dont l’existence tout entière se base sur la carrière et la gloire acquise, au détriment de sa fille, merveilleuse Victoria Abril, fragile et pourtant capable des actes les plus sombres par amour pour sa mère. Leur confrontation enchaîne situations cocasses et véritables exutoires, où la mère se débrouille maladroitement et accumule les gaffes, où la fille lui pardonne tout mais ne trouve pas les mots justes pour exprimer ses sentiments, et doit se servir de l’histoire d’un autre film pour le lui faire comprendre. Enfin nous restons dans le trouble quant à la sincérité de Becky qui semble jouer du début à la fin, cachant ses intentions, profitant des situations à l’insu de Rebecca, et qui, en guise de pardon, ne saura à la fin que la sauver de la prison en posant ses empreintes sur l’arme du crime. Et alors que Rebecca lui racontera l’histoire de sa jeunesse, de sa vie, l’histoire des talons aiguilles, Becky mourra sans jamais avoir témoigner à Rebecca l’amour que celle-ci espérait tant avoir recevoir d’elle. Miguel Bosé arrive quant à lui à sublimer le double rôle du juge Miguel et du travesti Lethal, interprétant avec le même brio la sobriété du juge et l’extravagance du travesti, dont les caractères troublants vont se mélanger au fil du récit pour nous perdre habilement. Enfin la froideur de Féodor Atkine, autre "habitué" d’Almodovar, et l’exubérance de Bibi Anderson, élément comique du film (notamment lors du délicieux règlement de compte en direct) parachèvent un casting dirigé de main de maître par Almodovar. Chaque personnage trouve ainsi son intérêt et sert le film comme il faut, oscillant entre mélodrame, comique de mot, de situation, mensonges, déclarations d’amour, de haine, insufflant, comme pour chaque œuvre d’Almodovar, une vie qui lui devient propre et dont nous nous trouvons être les heureux spectateurs.

par Yannick Vély

En savoir plus

Interactivité :

Tout comme Attache-moi avant lui, ce classique d’Almodovar s’octroie enfin une édition spéciale sur deux DVD très soignée.

IMAGE ET SON

A dominantes rouge vif, les teintes bénéficient d’un transfert de qualité qui place cette édition bien au-dessus de la précédente. De même chaque piste audio, la première VF et la seconde VOST peuvent se lire aux choix avec la Stéréo d’origine, le transfert 5.1 DD ou le 5.1 DTS, toutes d’excellente facture. Une troisième piste Audiovision pour les non-voyants est disponible en Stéréo, ainsi que les sous-titres pour malentendants.

BONUS

Deux très beaux menus animés pour chaque DVD, qui nous montrent respectivement un court extrait des interprétations sur scène de Becky Del Paramo et de Lethal, comme retouchées à la manière des portraits Warhol, sur les airs de Luz Casal.

Lien Internet sur le premier DVD. On regrettera l’absence de commentaires audio, palliés cependant par les bonus du second DVD qui offrent deux interviews; la première de Pedro Almodovar, très enrichissante, réalisée peu après la sortie du film en janvier 1992. Le réalisateur y revient notamment sur son processus créatif, ses inspirations et même sa jeunesse, ainsi que sur les thèmes développés dans le film, tout cela entrecoupé de quelques extraits du film et des photos de plateaux. Réalisée de la même manière et à la même époque, la seconde est une interview de Victoria Abril où l’actrice revient elle sur les méthodes de travail d’Almodovar et sa direction d’acteur. Deux interviews courtes mais qui permettent d’apprendre de nombreuses choses sur le réalisateur espagnol.

S’ensuit une analyse du critique Frédéric Strauss, proche d’Almodovar, qui s’intéresse au thème de "l’artifice" développé dans Talons aiguilles. L’analyse est conduite de manière claire, revenant en voix-off sur les scènes principales du film que le critique commente dans l’ordre chronologique. Cette passionnante analyse remplace plus ou moins le commentaire audio absent sur le premier DVD.

Pour finir, une série de bandes-annonces des films d’Almodovar, de Talons aiguilles jusqu’à La mauvaise éducation, qui sert aussi de filmographie pour les œuvres du réalisateur postérieurs à 1991, et une galerie photos animée, conçu comme un album souvenir, qui fait défiler plusieurs photos de plateaux et photos extraites du film sur le "Piensa en mi" de Luz Casal.

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