Saddest Music in the World (The)
Winnipeg, Canada, 1933, au coeur de la Grande Dépression. Lady Port-Huntly, baronesse locale de la bière, bien décidée à profiter de la fin proche de la Prohibition, lance le concours de la musique la plus triste du monde.
IF YOU'RE SAD AND LIKE BEER, IT'S YOUR MOVIE
On sait d'emblée gré à E.D. Distribution de soigner à un tel point l'édition des films de Guy Maddin (dont le Et les lâches s'agenouillent sort chez le même éditeur). Auteur de génie, écrivant une partition de cinéma unique et très personnelle, le canadien mérite largement de sortir de l'anonymat happy few auquel il semble condamné. The Saddest Music in the World s'annonçait d'ailleurs comme l'antidote rêvé à cette discrétion subie. Maddin y abandonnait ses habitudes de narration opaque, pour une trame de comédie musicale somme toute assez simple (amours contrariés et famille je vous hais) et globalement linéaire (des représentants de plusieurs nations se rendent au Canada pour participer à l'élection de la musique la plus triste du monde ; parmi les représentants, un père, représentant le Canada, et ses deux fils, ceux-ci se faisant passer l'un pour américain, l'autre pour Serbe), et, nanti du plus gros budget jamais déboursé pour un de ses projets, se payait un casting de luxe, réunissant Isabella Rossellini et Maria de Medeiros.
Le résultat à l'écran est jaculatoire et euphorisant: pour chaque plan, au moins une idée graphique forte et justifiée, cohérente, jamais appuyée (les plans sont globalement assez courts et jamais Maddin ne se gargarise d'une trouvaille au point de l'éterniser). Tout est maîtrisé avec une aisance folle, depuis la figuration, jusqu'aux incroyables décors de studio, en passant par les costumes, le cadre, le montage, l'exceptionnelle BO, la direction d'acteurs... Tout ceci demeurant paradoxalement simple, modeste, sans chichi, quand plus d'un, assis sur une telle inventivité, auraient exhibé l'enflure de leurs chevilles. Bouclé en 2003, le film fut présenté au festival de Venise en séance spéciale, où il fut accueilli avec les honneurs… avant de disparaître énigmatiquement dans les méandres obscurs de la distribution. Ce n'est que trois ans plus tard, en février 2006, que The Saddest Music in the World eut droit à une sortie en catimini, brisant net les chances du cinéma de Maddin de toucher une large audience. Le rattrapage en DVD est évidemment indispensable.
En savoir plus
Interactivité :
À la tête d'un catalogue excitant, où se croisent entre autres les frères Quay et Phil Mulloy, E.D. Distribution s'est taillé une réputation solide, dont les récentes éditions de deux films de Guy Maddin prouvent la validité. Ainsi de The Saddest Music in the World, dont les bonus prolongent largement le plaisir du film. On commence par un livret de 20 pages regroupant les (évidemment improbables et hilarantes) notes de tournage de Maddin, où l'on apprend, entre autres informations essentielles, qu'au cinquième jour, le canadien dû faire don de "2000$ au peintre pour qu'il ne couche pas avec la soprano polonaise qui chantait à la cantine ces trois derniers jours"…
On enchaîne logiquement avec Des larmes dans la neige, aimable making-of, bien qu'un peu trop envahi par les interviews promotionnelles et pas assez centré sur le tournage à proprement parler. Agréable à regarder, donc, mais aussi un peu frustrant, les quelques astuces techniques entrevues (l'utilisation de la gélatine, les décors, etc.) s'avérant forcément enthousiasmantes.
Un éventail de trois courts métrages permet de faire perdurer l'esprit de Winnipeg. Joyaux de la sélection, Sissy-Boy Slap-Party et Sombra Dolorosa (qu'on trouve en versions longues sur le DVD d'Et les lâches s'agenouillent, autobiographie fantasmée du cinéaste, éditée parallèlement, toujours chez E.D.) permettent d'humer le vent de liberté qui souffle sous le crâne du canadien. A trip to the Orphanage vient d'un autre tonneau: plutôt clip que court métrage, le film donne à voir ce qu'on suppose être quelques scènes coupées au montage de The Saddest Music in the World, et aurait pu faire office de bande-annonce planante. Des bandes-annonces du film, on en trouvera dix (une longue et neuf courtes), qu'on pourra compléter de quelques extraits des autres films de Guy Maddin, disponibles chez E.D.
Même travail d'édition de grande qualité pour Et les lâches s'agenouillent, qui outre les courts métrages déjà cités, a lui aussi droit à son livret de 20 pages, et contient surtout une rareté, Love-Chaunt Woorkbook, soit quatre segments d'un film (supposément) perdu de Guy Maddin.