Requiem pour un massacre

Requiem pour un massacre
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Biélorussie, 1943. Alors que l’armée nazie poursuit sa percée à l’Est, un jeune garçon exalté, Florya, s’engage dans la Résistance soviétique. Pressé de jouer à la guerre et de chasser l’envahisseur aux côtés des partisans, il s’enfonce avec eux dans la forêt, y fait la connaissance de la jolie Glasha un soir de veillée. Un bombardement le ramène douloureusement à la réalité. Kolya retourne précipitamment dans son village, à la recherche de sa mère et de ses petites sœurs. Mais le pire est encore à venir...

CEUX QUI RESTENT

En 1985, Elem Klimov est un cinéaste rompu à l'art du contre-temps. L'Agonie, son troisième film, est resté sous scellés pendant huit ans. Requiem pour un massacre sur le génocide biélorusse, le projet qui lui tient le plus à cœur, celui qui devait le "réhabiliter", lui remémorer les traumatismes de l'enfance - son "devoir de mémoire" comme il aime à la définir - , subit lui aussi les revers d'une industrie chagrine et suspicieuse. Il lui faudra sept ans pour mener à bien cette libre adaptation d'une nouvelle d'Ales Adamovitch, Le Récit de Khatyne. D'origine biélorusse, ancien partisan de la Résistance, Adamovitch y injecte ses propres souvenirs, des récits à glacer le sang, des bribes d'effroi et de haine, des torrents de corps décharnés, une chronique de l'horreur qui interpelle aussitôt Klimov, lui-même un enfant de la guerre. Natif de Stalingrad, Klimov a connu les bombardements, l'exode et la terre brûlée. Le titre russe de Requiem pour un massacre, éloquent, est déjà une tribune plaidant pour la mémoire: Va et regarde, expression tirée de l'Evangile, est le témoignage d'une morsure restée intacte, de cette souffrance viscérale gravée à même la chair. Grand Prix du Festival de Moscou en 1985, précédé par sa réputation de chef-d'œuvre du film de guerre, Requiem pour un massacre a acquis au fil du temps, par sa souveraineté formelle, sa poésie ardente et funèbre, sa puissance évocatrice, une véritable dimension culte. Le tournage, un bourbier de neuf mois durant lesquels les deux jeunes acteurs manquent de se noyer et où sont utilisées de vraies munitions, a lieu dans un contexte de tensions politiques; la guerre froide ravive des peurs primitives. Avant l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev, avant la Glasnost et l'assouplissement du régime, Klimov redoute une Troisième Guerre.

QUE LA BÊTE MEURE

Hanté par des visions noires et mortifères, gagné par une amertume et pessimisme alarmants, veuf (sa femme, la réalisatrice Larissa Shepitko, est morte dans un accident de voiture quelques années plus tôt), Klimov ne s'embarrasse pas du superflu, il va droit à la blessure, au cœur de la désolation, armé d'une Steadycam et d'une énergie inflexible. Son requiem obéit à des mouvements limpides, aussi majestueux que cinglants, un lent crescendo émaillé de déflagrations bouleversantes: les jeux de l'enfance miment une élégie pastorale, une nature bienveillante, un Paradis diluvien zébré d'arc-en-ciels; l'errance et la solitude, rythmés par les éclats d'obus, inspirent un bourdonnement menaçant, strident, une partition dissonante, assourdissante, jusqu'à la démence et la démesure, une folie dévastatrice dont le déchirant point d'orgue est le pillage et la destruction d'un village. Hommes, femmes et enfants sont séquestrés et brûlés vifs dans une grange sous les rires sardoniques de joueurs débraillés. Requiem pour un massacre est parcouru de ces fulgurances: une hystérie collective, une jeune fille hagarde, les cuisses en sang, la bouche déformée par une flûte de Pan, une conductrice morte au sein nu, un sourire d'ange dévoré par la boue. Requiem pour un massacre n'est pas à proprement parler un film de guerre, c'est un film sur les ravages de la guerre, Klimov ne montre jamais le front, il montre les à-côtés, le supplice des civils, la survie d'un adolescent. Une retraite émerveillée dans la forêt contre le dénuement des villageois exposés comme des bêtes de foire. Témoin impuissant, Florya perd ses yeux bleus et sa blondeur de nourrisson. L'horreur est inscrite sur son visage éraflé et vieillissant. Un tortionnaire l'avait prédit: "Tout commence par les enfants."

par Danielle Chou

En savoir plus

Interactivité :

Boutique "très indépendante" dédiée au cinéma (30, rue Beaurepaire à Paris), l'éclectique Potemkine possède désormais sa propre collection DVD. Avec ce premier titre en vente, le rare et précieux Requiem pour un massacre, dernier film d'Elem Klimov, le ton est donné. L'élégant digipack propose plusieurs bonus éclairant la genèse du film. En premier lieu, deux documents d'époque: Les Pertes humaines en Biélorussie (5'29 min) et L'Offensive des partisans en Biélorussie (11'25 min), des actualités de propagande qui recensent les atrocités perpétrées par les Nazis (viols, mutilations, meurtres arbitraires, familles enfermées et asphyxiées dans une cave, villages entiers rayés de la carte, charniers), ainsi que les étapes clés de la reconquête de la Biélorussie sous les vivats des survivants.

Trois récents entretiens composent la partie la plus instructive des bonus: Elem Klimov (11'25 min) (décédé en 2003) revient sur la longue gestation du film, ses principales motivations, sa complicité avec l'écrivain-scénariste Ales Adamovitch, son inquiétude à l'égard de son jeune acteur, qu'il confie aux mains d'un hypnotiseur le temps du tournage pour effacer toute trace de traumatisme, son souci de fidélité historique. Klimov avoue par ailleurs qu'il trouve son film encore trop "modéré", même si l'expérience lui a retiré toute envie par la suite de réaliser un nouveau film. Aujourd'hui âgé de 38 ans, Aleksei Kravchenko (13'04 min) se souvient de son casting improvisé, un pur hasard puisqu'il accompagnait un ami, du tournage éprouvant (notamment durant la scène du marécage), de son jeûne pour gommer les rondeurs de ses joues. Le décorateur Victor Petrov (7'41 min) souligne quant à lui l'importance du film, d'un point de vue pyrotechnique et humain.

Une galerie photos (9 en noir et blanc, 12 en couleurs) et les filmographies des principaux acteurs du film (réalisateur, monteur, compositeur...) sont offerts en compléments.

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