Port de la drogue (Le) / Mark Dixon Detective

Port de la drogue (Le) / Mark Dixon Detective
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Le Port de la drogue: Dans le métro de New York, Skip, un pickpocket, vole un porte-monnaie dans le sac de Candy, sans savoir que celui-ci contient un micro-film contenant des informations "rouges". L’affaire touche donc les hautes sphères et s’avère potentiellement dangereuse. Mais Skip flaire aussi le moyen de se faire peu de fraîche... Mark Dixon Détective: Habitué des bavures, Mark Dixon, un policier qui parle avec ses poings, tue un homme au cours d'une enquête. Le meurtre est attribué à un chauffeur de taxi. Amoureux de la fille de ce dernier et rongé par les remords, Dixon va tout faire pour le disculper.

SANS DETOURS MORTELS

Carlotta continue de débroussailler avec bonheur les champs de la mémoire cinéphile. En tirs groupés nous parviennent donc trois grands classiques de la comédie américaine (Fidèlement vôtre, Allez coucher ailleurs et La Folle ingénue), deux westerns mythiques (L’Homme de l’Ouest, Quarante tueurs) et les deux polars passionnants ci-chroniqués. D’approches résolument opposées, Mark Dixon Détective et Le Port de la drogue – que, par respect pour leurs auteurs (cf. bonus), nous désignerons par leurs titres originaux – sont deux oeuvres qu'il convient justement d'aborder par leurs rapports antithétiques. A ma gauche, le challenger, Where the Sidewalk Ends (Mark Dixon Détective), policier classique d’Otto Preminger, propre sur lui, clair comme de l’eau de roche, d’une désarmante évidence esthétique et scénaristique. A ma droite, l’outsider, Pickup on South Street (Le Port de la drogue), chef-d’œuvre incompris, crasseux, sombre et fascinant, film préféré de son prestigieux auteur, Samuel Fuller. Deux conceptions étrangères du film noir, l’un relevant d’un confort de studio, l’autre tourné majoritairement en décors réels. Deux ambitions, deux temps hollywoodiens, toujours contraires, mais complémentaires donc jamais ennemis. Là où le trottoir s’arrête, Preminger aussi: le cinéaste suit un chemin rectiligne, sans aspérité, à l’obscurité rare, gorgé de lumière artificielle, où un passage à tabac ne laisse qu’un pansement au menton pour tout vestige. Point de manichéisme trop simple pour autant: flics et voyous sont perméables. Mais fictionnels: anti-naturaliste, Where the Sidewalk Ends est un quasi huis-clos urbain, où les protagonistes vivent en leur monde des affaires de leur monde. Polar en ce sens de film de genre, régi par ses règles (Dana Andrews en imper et chapeau, Gene Tierney en victime éplorée du deuxième sexe et, en option, sales crapules à molester) et sa morale (singulière, mais sauve), Where the Sidewalk Ends ne se permet pas de détours.

LA LUNE DANS LE CANIVEAU

Du trottoir, Fuller, lui, descend dans le caniveau, les ruelles, l’ombre. Voulu comme un petit frère policier à Rome, ville ouverte, Pickup on South Street se revendique d’un certain néoréalisme polar, impitoyablement violent ("Cette violence, il me semblait que je ne l’avais jamais vue dans un film, dira Scorsese), craspec (même le joli minois de Jean Peters ne réchappe pas aux vilaines marques de gnons) et d’une tortueuse générosité (pute, indic, voyous, petites gens, tiennent la vedette face aux condés falots). Stupidement interprété en France sous l’angle de la série B anti-rouges – et charcuté en conséquence – Pickup on South Street est un film éminemment plus complexe qu’en apparence. Si politique il faut y chercher, c’est davantage du côté de la satire, constamment présente dans le sourire narquois du pickpocket Widmark, qu’on dénichera Fuller. Les flics sont ripoux, sans limites, sans éthique, quand les voyous forment une congrégation solidaire, où l’on pardonne l’indic parce qu’"il faut bien qu’il mange", et où les intrigues patriotiques ne pèsent pas bien lourd ("Vous n’allez pas m’agiter le drapeau sous le nez!"). Plus film noir, tu meurs. Aussi n’est-on pas surpris qu’au final, l’audacieux Fuller mène la lutte d’une large tête face à un Preminger certes efficace, mais un rien trop ronronnant.

par Guillaume Massart

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Interactivité :

IMAGE ET SON

Si l’on n’aura pas trop de reproches à adresser à la restauration de Pickup on South Street (quelques contrastes pas assez affirmés et c’est à peu près tout), il en ira autrement de celle de Where the Sidewalk Ends, pas franchement concluante. Points blancs, rayures, noirs ternes qui, dans un sens, n’auraient pas vraiment perturbé l’esthétique moins pourléchée du Fuller, mais gâchent la patine lustrée du Preminger. Côté son, pas grand-chose à redire, même si l'on aurait apprécié une petite remise à niveau de la fameuse VF du Fuller, trop nasillarde et sifflante pour que l’on accepte de s’y pencher tout à fait. Chez Preminger, c’est plus simple puisqu’on se passe carrément de VF. Pas bien grave.

BONUS

Ici aussi, l’avantage va de nouveau au Fuller, pour la bonne et simple raison que son histoire personnelle s’y prête plus. Film de Guerre Froide, Pickup on South Street est abusivement perçu lors de sa sortie par les distributeurs français comme anti-communiste. L’Hexagone n’étant pas franchement mccarthyste, nos chantres du politiquement correct se passent de l’avis de Fuller et jouent un stupide numéro d’équilibriste en tronquant dans la VF toutes les allusions anti-rouges. Le microfilm coco mute ainsi en microfilm contenant une nouvelle formule pour faire de la coco (!), et les micmacs nationalistes se transforment en diatribes moralisatrices anti-passeurs de came. C’est ce que nous raconte sur dix trop courtes minutes Du microfilm à la poudre blanche, l’un des plus précieux bonus de la galette. Egalement à consulter sans modération, un extrait de l’émission Cinéma Cinémas starring Sam Fuller himself, cigare aux lippes, sympathique et démonstratif, se livrant avec un entrain communicatif et joyeusement grivois à un commentaire live des premières séquences du film. Frustrantes, comme tout extrait peut l’être, ces dix petites minutes donnent un aperçu de ce que Fuller aurait pu nous livrer s’il avait vécu à la sainte époque des DVD et des commentaires audio. Par ordre décroissant d’intérêt, on pourra aussi écouter l’historien du cinéma François Guérif disserter du Film noir selon Fuller, ainsi que, si l’on n’a pas peur de la redite, Hervé de Luze, chef-monteur chez Polanski, Berri ou Resnais, nous éclairer quant au Style Fuller. Reste une Préface d’Arthur Penn à fuir, par pudeur pour le mythique cinéaste.

En face, Mark Dixon Détective (étrange titre français, Dixon étant inspecteur et non privé) fait difficilement le poids avec ses deux docs inégaux. Commençons par le plus intéressant du lot, à savoir le Regard sur la lumière de Vincent Jeannot, admirateur de Joseph LaShelle et accessoirement chef-opérateur et caméraman chez Besson et Annaud, interview érudite et intelligente autour de l’esthétique studio du film de Preminger. Sous le travelling, le trouble, de Jean Douchet, en revanche, est autrement plus dispensable. Analyse séquentielle laborieuse et boursouflée, le documentaire se contente de paraphraser verbeusement la pourtant limpide mise en scène du maître. On peut s’épargner sans regret ces vingt interminables minutes.

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