Mémoire du tueur (La)
Un vieil assassin atteint de la maladie d’Alzheimer accepte à contrecœur un nouveau contrat. Il ignore le scandale dans lequel ses cibles sont impliquées.
CINE DES FLANDRES
Petits cinéphiles égocentriques que nous sommes, accrochés à nos lubies et à notre patrimoine culturel, nous Français oublions qu’une production européenne subsiste au-delà de notre horizon intello-chauvin. Il existe encore à nos frontières d’autres cinémas, des auteurs même, et des succès colossaux qui, s’ils ne nous atteignent pas, restent indéniables. L’année dernière, Goodbye Lenin fut un memento mori allemand jugé digne de percer jusqu’à nos salles, la preuve que nos voisins ne toléraient peut-être plus l’état végétatif de leur septième art. Sans parler de renouveau, on pouvait au moins constater des efforts sincères pour ressusciter la production cinématographique. Le cinéma allemand, comme l’italien, a eu son heure de gloire, et l’Espagne accouche depuis plusieurs années de réalisateurs remarquables. En toute logique, on espère toujours que ceux-là nous surprendront encore un jour. Mais très honnêtement, qu’attendions-nous de la Belgique? A part des marginaux (Rémy Belvaux) et des auteurs familiers (les frères Dardenne, Lucas Belvaux, frère de l’autre), y avait-il vraiment un cinéma belge? Et un cinéma de genre, qui plus est? En découvrant La Mémoire du tueur, force est de constater qu’il existe bel et bien, annoncé par un émissaire assez courageux et solide pour espérer de nouveaux exemples.
LES FLAMANDS DESCENDENT SANS RIEN DIRE
On aurait tort de négliger la situation identitaire du film de Erik Van Looy. La Belgique étant partagée en deux parties (Flandres au nord, Wallonie au sud, la première étant néerlandophone/flamande, l’autre francophone/wallone), opter pour l’une ou l’autre revêt une importance, non capitale, mais significatrice. La Mémoire du tueur est un film flamand, où l’on parle parfois français, et non l’inverse. C’est son premier attrait, et la preuve qu’il s’agit d’un film ambitieux, volontaire. Cela se confirme dans la mise en scène. Cadres précis, mouvements de caméra élaborés, nuances gris-vert de la photo, musique aérienne et grave, mélodies lancinantes: Erik Van Looy s’imprègne des essences "manniennes". Les bases du maître sont régurgitées avec style, au service d’une histoire qui, même dérivée de Memento, a le mérite d’inclure le traumatisme belge de la pédophilie sans jamais s’y vautrer. Ainsi, Erik Van Looy a entre ses mains un personnage fascinant, très tendance, et une approche sérieuse sur un crime d’ampleur sociologique. Thématiquement, le film est d’une richesse rare, et sa gravité le prétexte parfait pour faire un grand polar. Il est donc d’autant plus énervant de constater la banalité des obstacles sur lesquels le film flamand perd les oripeaux de sa grandeur.
EFFICACE, MAIS DISSIPE. TROP DISSIPE
On pourrait presque passer sur les petites touches, les coups de coudes et autres clignements d’œil métaphoriques destinés au public qui souhaite probablement des flics par paires et amis, si différents soient-ils. Uriner sur les voitures des pontes corrompus, flirter avec la veuve joyeuse pour lui soutirer des informations, faire le coq devant l’autre brigade, ne sont pas des poncifs honteux. Mais ils sont ici hors de propos, en contradiction avec toute cette ambiance que le film veut créer: la beauté froide du malheur, la majesté dramatique de la mort et de l’oubli. Ce sont tous ces petits détails empruntés qui retiennent La Mémoire du tueur dans la masse des divertissements classiques. Et c’est justement l’identité du film, sa matière, sa substance, qui pose problème. Erik Van Looy ne parvient pas à choisir entre les effets faussement auteurisants (accélérés, jump cuts) et l’efficacité stylistique, pas plus qu’entre son personnage principal (Alfredo Ledda, excellent Jan Decleir) et son canevas (les affaires de pédophilie). Dès que le film n’est plus centré sur le vieux tueur malade, il perd de son intérêt, concluant sans éclats "l’autre intrigue" dans une dernière demi-heure légèrement poussive. Il égare les spectateurs avec lui, n’ayant pas su voir où était vraiment son sujet. L’impair est regrettable, car entre deux fautes de goût, on peut apercevoir les germes d’un grand film. La prochaine fois peut-être?
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Interactivité :
IMAGE & SON
Le pressage offre une définition précise et claire: les tons bleu-vert, gris, sont distincts, la photographie élaborée est respectée. Le mixage est du même acabit, équilibrant correctement la musique, les dialogues et les effets. L’écoute est tranquille, le film ne comportant que peu de scènes d’action. Les quelques coups de feu résonnent cependant à souhait.
BONUS
Très peu de matière pour les curieux qui souhaiteraient en apprendre plus sur la conception du film. On trouve une galerie de photos, assez dépouillée, qui ne propose qu’une trentaine d’images à l’intérêt tout relatif. Quant au making of, il est constitué de prises sur le vif accompagnées par la musique du film. Celles-ci sont montées en split screen, souvent par paires, et montrent généralement le tournage des scènes à effets du film: meurtres, fusillade, explosion, etc. Le visionnage pourrait être didactique si toutes les indications n’étaient pas en néerlandais non sous-titré. Mais au final, ce sont 21 minutes rébarbatives pour un bonus gadget. On trouve aussi les bandes-annonces d’autres distributions ARP et de DVD édités par TF1 Vidéo. L’interactivité est donc réduite au minimum syndical, et on espérait mieux pour une curiosité comme La Mémoire du tueur.