Kenji Mizoguchi, les années 40
L’Epée de Bijomaru, 5 femmes autour d’Utamaro, L’Amour de l’actrice Sumako, Les Femmes de la nuit et Flamme de mon amour: cinq films signés Kenji Mizoguchi dans la deuxième moitié des années 40.
CONTES DE L’APRES GUERRE
Avant ses glorieuses années 50 qui l’ont consacré, des Contes de la lune vague après la pluie aux Amants crucifiés, de La Vie d’Oharu femme galante à La Rue de la honte, comme l'un des plus grands maîtres du cinéma mondial, le Japonais Kenji Mizoguchi avait déjà tourné la bagatelle de 80 films. Parmi ceux-ci, les cinq proposés dans ce coffret Carlotta témoignent des visages multiples de Mizoguchi au lendemain de la guerre. L’Epée de Bijomaru, tourné à la toute fin du conflit mondial, est un détournement d’une commande militariste permettant à Mizoguchi de filmer avant tout la dévotion artistique du forgeron lors de la confection d’un sabre. Pour des raisons d’économie, les films ne devaient pas dépasser une heure, ce qui donne avec Bijomaru une impression un peu précipitée du point de vue du scénario, malgré la rigueur de la mise en scène. Un an plus tard, le réalisateur signe l’œuvre la plus connue de cette période, 5 femmes autour d’Utamaro, biographie du célèbre peintre dans lequel Mizoguchi se projette, empruntant sa mise en scène aux peintures en rouleaux et à l’art de l’estampe. L’année suivante, le cinéaste, insatiable, accouche d’un de ses chefs d’œuvre avec L’Amour de l’actrice Sumako, une véritable lettre d’amour dédiée à son actrice fétiche, Kinuyo Tanaka.
PORTRAITS DE FEMMES
Le film est la bio romancée de Sumako Matsui, star dans le milieu du théâtre qui apporta une révolution sur scène en sonnant l’avènement du théâtre moderne au Japon, en réaction au No et au Kabuki. Visuellement flamboyant, Sumako offre peut-être son plus beau rôle à Tanaka, transfigurée entre autres en Carmen, laquelle forme avec So Yamamura un couple bouleversant et magnifique. Réglé comme un métronome, Mizoguchi termine Les Femmes de la nuit en 1948, œuvre de la rupture esthétique car le cinéaste, féru de cinéma étranger, filme son récit à la façon du néo-réalisme italien. Encore une fois, les femmes sont au cœur des préoccupations, premières victimes de la guerre et prisonnières de la nuit. Le film annonce à sa façon les splendeurs crépusculaires des 50’s, dans une tonalité privée de tout espoir. Enfin, avec Flamme de mon amour, Mizoguchi fait le portrait des jeunes années d’une activiste de la fin du XIXe siècle confrontée aux hommes, mais aussi aux contradictions de ses camarades de combat. Comme dans Les Femmes de la nuit, l’union féminine est l’une des fragiles solutions pour supporter l’atmosphère oppressante et pessimiste. Encore une fois, Tanaka fait merveille. Mizoguchi lui réservera d’autres joyaux dans sa glorieuse décennie à venir.
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Interactivité :
De nombreux bonus garnissent ce coffret exceptionnel édité par Carlotta films. Ceux-ci sont répartis autour de chacun des longs métrages du coffret. A propos de L’Epée de Bijomaru, la présentation de Jean Douchet revient sur le dilemme imposé à Mizoguchi, l’esthétisation des scènes viriles tout en mettant en valeur leur imposture et privilégiant la place de la création artistique. L’entretien avec Kaneto Shindo, grand cinéaste (L’Ile nue, Oni Baba) et scénariste pour Mizoguchi, porte entre autres sur les difficultés de production pendant la guerre. Quatre documents sont consacrés à 5 femmes autour d’Utamaro. Une analyse de Jean Douchet explique l’autoportrait de Mizoguchi à travers le peintre, et offre des clefs de mise en scène. Dans deux bonus, Hélène Bayou, conservatrice au Musée Guimet, commente des œuvres d’Utamaro et présente Yoshiwara, le quartier des plaisirs décrit dans le film. Un autre entretien avec Shindo est également disponible. Dans sa présentation de L’Amour de l’actrice Sumako, Douchet établit des ponts entre l’art et la vie, et parle de la lutte féminine contre ce qui vient interdire l’expression de ses désirs. Douchet, à propos des Femmes de la nuit, évoque cette violence des hommes qui rejaillit dans un univers féminin, ainsi que les influences italiennes sur la forme. Shindo, dans son entretien, revient sur le risque pris par Mizoguchi, alors considéré par les studios comme un cinéaste du passé. Enfin, autour de Flamme de mon amour, Douchet revient sur le reflet entre ce que décrit le film (la société en mutation de la fin du XIXe) et son écho actuel, après-guerre. À ces bonus s’ajoutent un passionnant documentaire, où Charles Tesson commente le cinéma de Mizoguchi de 1945 à 1949, et un livret complet autour de cette même période. En bref, un indispensable.