Eureka
Dans les années 20, Jack McCann, qui n’a jamais gagné un sou sur le dos de quiconque, n’a qu’une idée fixe: trouver de l’or. C’est la quête qui l’anime, rien d’autre n’est important à ses yeux. Mais une fois le fabuleux filon découvert et, vingt ans plus tard, sa fortune bien installée, que reste-t-il à faire? Défendre ce patrimoine? Ou s’approprier autre chose? Sa propre fille par exemple?
LE FILM QUI VENAIT D’AILLEURS
S'il est bien une chose que l'on ne pourra enlever au DVD, c’est sa qualité d’archiviste, de profanateur de sépulture, voire d’embaumeur du septième art. Film maudit, traqué de festivals en rétrospectives, c’est finalement dans nos salons, par les bons soins de l’indispensable ciné-archéologue Jean-Pierre Dionnet, que le fameux Eureka de Nicholas Roeg échoue, au format galette argent. L’occasion de prendre enfin contact avec une œuvre devenue mythique parce qu’invisible, fantasmée parce que repoussée par les studios, importante parce que considérée comme majeure par son auteur lui-même. Reprenons: à l’origine d’Eureka, l’on trouve une biographie romancée de Sir Harry Oakes par Marshall Wilson Houts. Flamboyante histoire de fortune, de déchéance pingre et de meurtre sanguinaire, le livre charme par ses mystérieux atours le scénariste Paul Mayersberg (Furyo), qui en propose une adaptation à son collègue et ami Nicholas Roeg, avec lequel il avait déjà travaillé pour L’Homme qui venait d’ailleurs. Le choix est pertinent: fourmillante et métaphoriquement chargée, la trame semble faite pour le style sur-signifiant du réalisateur de Ne vous retournez pas. Trop sans doute, au goût de la MGM qui, découvrant le film qu’elle a financé, ne sait trop que faire de cet objet par trop personnel, insaisissable, constamment elliptique, démesurément baroque et résolument inaccessible.
ONCE WE DREAMED IT ALL, NOW WE JUST HAVE EVERYTHING
En dépit de son casting de haut vol (un Gene Hackman inspiré et imposant, un Rutger Hauer surprenant, un Mickey Rourke en retenue, mais aussi Theresa Russell ou Joe Pesci), le film pointe donc faiblement le bout de sa pellicule dans une poignée de salles américaines, et se voit privé d’une carrière européenne – Angleterre mise à part. De fait, découvrir aujourd’hui Eureka, survendu par cet arrière-plan historique forcément excitant, n’autorise pas un enthousiasme équivalent à l’attente. S’il est toujours alléchant de se frotter à un véritable OVNI filmique, on n’en est pas pour autant forcé de se voiler la face quant à ses faiblesses. Trame décousue et un peu longue, foisonnement d’intrigues secondaires, segmentation par trop radicale entre les trois parties du scénario et agaçante prétention stylistique (une constante chez Roeg, souvenez-vous de la virginale scène de noyade de Ne vous retournez pas, ses montages parallèles, sa symbolique religieuse et ses couleurs outrées) gâchent en effet la fête. Restent plusieurs fulgurances visuelles (un crâne volant en éclats, un homme brûlé vif sur son lit, une rivière d’or déferlant sur la glace, etc.), quelques lignes de dialogue sublimes (telles que l’intraduisible: "Once I had it all, now I just have everything"), la musique de Hans Zimmer et Stanley Myers et une direction d’acteurs forçant le respect. Ce n’est pas exactement ce qu’on avait espéré, mais c’est déjà beaucoup.
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Interactivité :
Déterré par Jean-Pierre Dionnet, c’est tout naturellement qu’Eureka débarque dans le giron de "L’Etrange Collection". Le packaging reprend donc les codes visuels de L’Etrange Festival (police de caractère élancée, tonalités violettes) pour une boîte cartonnée du meilleur effet. Côté interactivité, le résultat est mitigé. Autant l’on est emballé par l’excellente idée de la filmographie interactive, qui rompt avec l’habituel côté figé et scolaire en donnant accès à des extraits d’interviews pour chacun des films listés, autant l’on ne peut que regretter le caractère succinct de ceux-ci. De même, l’interview de Roeg par Dionnet, qui ne s’attaque jamais frontalement à Eureka mais survole la carrière du bonhomme, met en appétit. Mais on cherche désespérément le plat de résistance. Sans doute étriqués par la capacité de stockage d’un DVD unique, peut-être les bonus auraient-ils mérité de s’épanouir sur une deuxième galette. A noter, enfin, la présence d’une VF sur le DVD, qui peut étonner étant donné que le film n’est jamais sorti en salles dans l’hexagone, mais qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’a en aucun cas été enregistrée à l’occasion de la sortie DVD. Il s’agit simplement de la restauration d’un doublage réalisé dans le courant des années 80 pour la confidentielle sortie VHS du film.