Daratt, saison sèche

Daratt, saison sèche
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film

Tchad, 2006. Le gouvernement a accordé l'amnistie à tous les criminels de guerre. Atim, 16 ans, reçoit un revolver des mains de son grand-père pour aller retrouver l'homme qui a tué son père... Atim quitte son village et part pour N'djaména, à la recherche d'un homme qu'il ne connaît même pas. Il le localise rapidement : ancien criminel de guerre, Nassara est aujourd'hui rangé, marié et patron d'une petite boulangerie...

DANS LA BATAILLE DES CHAMPS

Superbement dominé par l’implacable Bamako, le cinéma africain eut, l’an passé, un autre beau représentant, passé injustement inaperçu dans nos colonnes. Sa sortie en DVD est l’occasion de combler ce manque (nous l’évoquions certes dans le cadre du festival du cinéma francophone du centre Wallonie-Bruxelles, mais bien trop brièvement). Étape, toujours sans lien aucun avec Mozart, du décidément – et fort heureusement – très libre New Crowned Hope, Daratt, saison sèche affirme, comme ses camarades du même projet (I Don't Want to Sleep Alone, Syndromes and a Century, Hamaca Paraguya, etc.), une grande modernité et des partis pris esthétiques lumineux. La marque de production Sissako est évacuée dès la première séquence: actualités radiophoniques dans les rues d’un village africain, le sort des bourreaux de la guerre civile Tchadienne vient d’être décidé. Ce pourrait être l’occasion de la tenue d’une nouvelle cour de justice citoyenne – il n’en sera rien. C’est que les coupables convaincus sont officiellement absous, dans le cadre d’une scandaleuse amnistie générale.

Dans la brèche grande ouverte de la vengeance, s’infiltre alors le spectre du film de genre. Figure archétypale d’un sage aveugle déballant flingue au milieu du désert et va donc, petit fils, cours et nous venge… On pourrait craindre un pensum, on pourrait s'attendre à un western: c’est tout à fait autre chose. Une histoire de positionnement spatial, de topographie avant tout, de conquête de l’espace, en somme. Voyez cette porte bleue, entrebâillée, étape narrative liminaire et élémentaire. C’est un rideau de théâtre, devant lequel se massent les enfants affamés ; c’est une porte d’accès au hors-champ du second acte ; c’est un sésame au contrechamp. Pivot narratif autant que de mise en scène, elle est un point de bascule esthétique majeur. Atim s’en approche comme on dompte une bête sauvage, goûtant, crachant, jetant regard furtif, humant animalement son rival en lui tournant autour. Avec lui, le cadre se resserre. Aux plans larges d’origine, hors les murs, rappelant l’art de Pedro Costa par leur légère contre-plongée, le clair-obscur de leur lumière, l’importance picturale de leurs textures et leurs bords-cadres affûtés, succèdent des plans rapprochés de défiance et d’intimidation.

Leçon d’économie: un seul lieu, mais plusieurs axes, plusieurs échelles de plans et des intervalles de montage variables, suffisent à moduler les états. Être devant ou derrière une porte, dehors ou dedans – le meilleur de Daratt (disons ses deux premiers tiers) ne joue que sur cette entêtante binarité. Dommage que Mahamat-Saleh Haroun peine à trouver réponse adaptée à son troisième temps. C’est que le récit le rattrape et que le film n’est jamais aussi bon que lorsqu’il se tait et ne parle que de visu (est-il besoin d'expliquer que l'ouverture d'une nouvelle boulangerie fait de l'ombre au commerce de Nassara? Une camionnette marquée, tout simplement, "Nouvelle Boulangerie", s'en charge très bien). Lorsque les visages se substituent aux murs, l’organique à l’espace, la mise en scène tente de s’aligner, s’approchant des corps, tentant d’accompagner leurs états. Y parvient, parfois; y piétine un peu, aussi. Est-ce l’entrée en jeu d’une tierce personne, mal gérée dramatiquement (voir les séquences coupées, présentes en bonus sur le DVD, pour s’en convaincre), qui perturbe l’organisation binaire de la première partie? Probable. Le récit, d’ailleurs, aspire très vite à la fuir, déambulant dans des rues noires, irréelles, sans arrière-plan. Puis regagnant le désert pour une résolution superbe, car renouant enfin, organiquement, avec les deux états d’origine: être ou ne pas être vu – être ou ne pas être dans le champ.

par Guillaume Massart

En savoir plus

Interactivité :

On espérait beaucoup de Chroniques d'une saison sèche, making-of de 27 minutes signé Frank Verdier, et annoncé comme un film à part entière. Il n'en est en fait rien : bout-à-bout grossier d'instants in et hors plateaux, séparés faute de mieux par de pesants écrans noirs, le reportage pâtit de ce montage désastreux (la plupart des coupes sont frustrantes, interrompant l'action à son point culminant) et devient très vite répétitif et lassant. Dommage, car le tournage mouvementé de Daratt méritait mieux. On se rattrapera donc avec le plus classique Entretien avec Mahamat-Saleh Haroun. Le réalisateur, aimable et posé, s'y livre vingt minutes durant, dans une langue claire et réfléchie. Passionnante et simple, cette interview suffit largement à combler les manques du film prétentieux de Frank Verdier. On complètera cet entretien par trois scènes coupées, très pertinemment commentées par le réalisateur et sa monteuse Marie-Hélène Dozo (monteuse régulière des frères Dardenne). On aurait toutefois aimé pouvoir choisir de regarder ces séquences, toutes trois très belles (le combat de coq entre Atim et Nassara est notamment superbe), avec ou sans les commentaires, afin de profiter de leurs dialogues (afin par exemple d'entendre le coup de fil de l'italien, qui nous est du coup davantage raconté que donné à entendre). Enfin, les six minutes d'Entretien avec Wasis Diop, auteur de la chanson originale du film, sont largement plus dispensables. A l'image de ladite chanson, ce qui s'y dit reste très basique et n'apporte pas grand chose à la compréhension du film.

Quelques liens :

Partenaires