Criss Cross

Criss Cross
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Un an après leur divorce, Steve Thompson est toujours désespérément amoureux d’Anna, devenue entre-temps la compagne d’un malfrat, Slim Dundee. Malgré les avertissements de ses proches, Steve succombe à ses vieux démons et se retrouve dans une inextricable affaire de braquage pour les beaux yeux d’Anna. Steve est convoyeur de fonds...

LES NOCES FUNEBRES

Un homme ordinaire malmené par le destin, une brune fatale, un braquage qui tourne mal. Criss Cross ressemble à s’y méprendre aux Tueurs du même Robert Siodmak. Trois années séparent les deux films, l’équipe qui a fait le succès du premier est en partie réunie (Burt Lancaster en anti-héros, Miklos Rozsa à la musique). Mais Siodmak n’hésite pas à recycler et fignoler ses cartes maîtresses: le triangle amoureux, le flash-back, le polar anxiogène et le déterminisme qui régit les personnages. Plus encore que le Suédois, Steve Thompson est prisonnier d’un destin infroissable, insurpassable. Tous les détours, tous les stratagèmes, toutes les voix de la raison le ramènent inéluctablement vers Anna, qui surgit comme par sorcellerie dans la boîte de nuit où ils avaient l’habitude de se retrouver. Les mois n’ont pas suffi à apaiser les rancœurs, Steve continue de panser ses plaies. Quand ils se revoient, les anciens époux conversent comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. La structure du film (une introduction parcellaire, au cœur de l’action, suivie d’un long flash-back et d’un retour au présent) appuie cette impression d’éternel recommencement. Quand le film commence, l’histoire est déjà écrite. Steve est condamné à revivre, encore et toujours, la même passion aveuglée pour Anna. La voix off le martèle à intervalles réguliers: "C’était écrit". Et même si Steve tente de se persuader du contraire ("La page est tournée, bien tournée"), il rend vite les armes: "Rien ne peut arrêter le destin."

SPIRALE INFERNALE

Criss Cross fonctionne ainsi en circuit fermé, dans des espaces cloisonnés, étriqués, hantés par des vieilles connaissances, des cadavres mal enterrés et des fantômes indélogeables. La fête bat son plein dans l’immuable boîte de nuit, la même descente aux Enfers. Anna est restée la même beauté froide et hautaine mais irrésistiblement attractive. Madame Thompson et Pete l’ami détective cernent aussitôt les raisons du retour de Steve. Mais Steve ignore leurs remontrances, Steve est en retard d’une mesure. Ses paroles, ses gestes et ses pas, qu’ils croient réfléchis et autonomes, sont déjà sous l’emprise du désir. Un désir qui le ronge, le consume et le réduit à l’état de simple marionnette. Ainsi, chaque séquence est doublée, réitérée, comme si la vie de Steve n’était qu’une permanente répétition générale. Steve n’en finit plus de croiser Anna. Steve et Anna n’en finissent plus de ressasser le passé et d’envisager un futur à deux. Aussi stylisé que Les Tueurs, dont on se remémore l’impressionnante gamme de préciosités géométriques, Criss Cross sait tirer profit des somptueux contrastes du noir et blanc et d’étonnants effets hallucinatoires. Noyée sous les fumigènes, la scène du braquage semble irréelle, comme le sont les incessantes retrouvailles avec Anna. L’origine de ce braquage est d’ailleurs absurde et totalement improvisée, comme un mauvais rêve qui s’obstine à tourmenter Steve. Siodmak prend son temps, à raison: la virtuosité de Criss Cross éclate à la fin, dans une fascinante séquence de paranoïa, entre délires et crispations d’un convalescent en sursis.

par Danielle Chou

En savoir plus

Interactivité :

Peu de fioritures en bonus (une bande-annonce datant de la sortie du film); Carlotta a gardé l’essentiel: Répétitions / Obsessions (20’37 min), une fine analyse, claire et concise, de Serge Chauvin, maître de conférences en littérature et cinéma américains à Paris X Nanterre. L’entretien, entrecoupé d’extraits de Criss Cross, propose plusieurs passionnants axes de réflexion: l’esthétique hybride du film (le lyrisme d’un amour fantasque, placé sous le signe du trompe-l’œil et de l’hallucination, contre la sécheresse d’une mise en scène inspirée du documentaire), l’usage affûté du flash-back, comme une "compulsion de répétition", la narration lacunaire (les savantes ellipses qui correspondent à des pertes de conscience et autant de réveils oniriques). Enfin l’obsession qui gouverne tous les personnages, qu’elle soit sexuelle, éthylique ou pécuniaire. Guidés par leurs pulsions, Steve et Anna ont beau connaître l’issue tragique de leur réunion, ils ne peuvent se détourner de leur destinée. Chauvin définit ainsi Criss Cross comme "un grand film d’amour fou."

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