Collection R.W.Fassbinder - Coffret 2

Collection R.W.Fassbinder - Coffret 2
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Quand on plonge dans l’œuvre du cinéaste, comme ce somptueux coffret nous en donne l’occasion, on est saisi par la singularité de ce metteur en scène, qui a fait très tôt son choix: l’important, c’est l’histoire, le propos. Alors que tant d’auteurs ne sauraient pas quoi faire de cette identité allemande, c’est-à-dire descendant d’un peuple responsable de l'un des plus horribles massacres de toute l’histoire de l’humanité, Fassbinder saute à pieds joints dessus et met en scène la mesquinerie de la petite bourgeoisie allemande, la prétention de la grande bourgeoisie, le racisme ordinaire, l’impossible dépendance des rapports amoureux, la futilité des partis politiques. Rien ne sent bon chez Fassbinder, la nature humaine est horrible et personne ne peut y échapper. Mais ce qui est beau, c’est qu’il n’oublie jamais que nous ne sommes que des grains de poussière balayés par le vent, victimes des circonstances

LES LARMES AMERES DE PETRA VON KANT

(Die Bitteren Tränen der Petra Von Kant – Allemagne – 1972)

Avec Margit Carstensen, Hanna Schygulla, Eva Mattes, Katrin Schaake

Œuvre un peu à part dans la filmographie de Fassbinder, Les Larmes amères de Petra Von Kant est l'une des deux pièces de théâtre que le cinéaste a portées à l’écran. Découpé en quatre grandes scènes, le film raconte l’histoire de cette femme qui a méprisé celui qui l’a aimée puis qui sera méprisé par celle qu’elle aime. La première scène pose la situation de cette femme qui a quitté son mari et que personne ne comprend. La seconde partie est celle de la rencontre; la troisième, celle du déchirement et la quatrième, l’enfer et la rédemption par le pardon. Rarement un film - et même une pièce de théâtre - a montré avec autant de violence l’état de dépendance amoureuse. L’exposition des tourments de cette femme, au début parfaitement indifférente, impressionne tant par sa profondeur que par l’impossibilité de s’en défaire. Et le propos du film est implacable: quand une relation a commencé déséquilibrée, ce déséquilibre ne peut que s’accentuer pour finalement tout faire voler en éclats. Le fait que ce soit une histoire d’amour homosexuelle ne choque pas et le film n’en a que plus de force; les deux femmes sont séduisantes, elles forment un couple sublime et les voir se déchirer lentement n’en est que plus bouleversant. Les éloges ne sont pas finis parce qu’il est impossible de faire l’impasse sur la beauté formelle de ce conte cruel. Filmé en décor unique, Fassbinder n’a pas négligé pour autant la mise en image des Larmes amères de Petra Von Kant: une utilisation subtile de mannequins renvoie aux personnages principaux et leur absence d’émotion, les maquillages donnent aux actrices tour à tour un teint vitreux ou un teint de cire pour une représentation visuelle des émotions d’une originalité peu commune. Mise à nu des sentiments amoureux, Les Larmes amères de Petra Von Kant est un mélo rongé jusqu’à l’os, un film entêtant et au final, déchirant.

TOUS LES AUTRES S'APPELLENT ALI

(Angst essen seele auf – Allemagne – 1973)

Avec Brigitte Mira, El Hedi Ben Salem, Barbara Valentin, Irm Hermann, Rainer Werner Fassbinder, Karl Scheydt

Remake avoué de Tout ce que le ciel permet du maître de Fassbinder, Douglas Sirk, Tous les autres s’appellent Ali ne parle pas seulement de la différence d’âge, comme le faisait son modèle, mais s’intéresse aussi et surtout au caractère multiculturel de ce couple. Toutes les remarques nauséabondes sont là, prononcées par une petite bourgeoisie étriquée jusqu’à l’étouffement: "ce sont tous des dégénérés, ils ne pensent qu’au sexe, ce sont des fainéants, ils ne se lavent pas…". Au milieu de ce déballage ordurier surnage ce couple touchant, deux êtres solitaires, héros improbables de mélodrame, une femme de ménage quinquagénaire et un immigré marocain. Réunis par une solitude débilitante, ils vont trouver un petit peu d’équilibre en s’occupant l’un de l’autre. Mais la pression sociale vient de partout: les enfants renient leur mère, les collègues cessent de parler à Emmi. A ce sujet, la scène de dispute chez l’épicier est impressionnante: l’épicier se tient là, sûr de son bon droit, décidé à pousser Ali à bout; l’injustice est là, évidente et appuyée par la conscience commune. A travers cette scène, et plusieurs remarques disséminées ça et là au cours du film, Fassbinder nous montre la petite bourgeoisie allemande et affirme que le nazisme n’est pas que le fruit du hasard ou d’une psychose collective, leur mentalité est largement responsable, si de telles horreurs sont possibles au quotidien, pourquoi pas à plus large échelle, puisque tout le monde pense la même chose. Et le cinéaste balance son propos par deux, trois images fugaces où Ali n’arrive plus à faire bonne figure. Toute cette pression sociale trace une croix sur sa solitude, qui est tout aussi réelle que celle d’Emmi. Et c’est aussi parce qu’il ne l’oublie pas que Fassbinder signe là non seulement un constat politique sanglant mais également un drame humain déchirant. Sans doute l'un des sommets dans l’œuvre de Fassbinder.

LE DROIT DU PLUS FORT

(Fausrecht der Freiheit – Allemagne – 1974)

Avec : Rainer Werner Fassbinder, Peter Chatel, Karl-Heinz Böhm, Rudolf Lenz, Karl Scheydt, Hans Zander, Kurt Raab

Reconnu comme l'un des chefs d’œuvres de Fassbinder, Le Droit du plus fort est encore aujourd’hui d’une force magistrale. Liant les relations amoureuses aux relations sociales, le film est un nouveau portrait au vitriol de la bourgeoisie allemande. A l’exception près qu’il s’agit ici de la haute bourgeoisie et le constat n’en est que plus amer. Riche, Fox n’est qu’un "parvenu" et les bourgeois qui l’acceptent ne le font que parce qu’il a de l’argent. Eugen, qui dit l’aimer, passe son temps à le diminuer, à le rabrouer. Alors les sentiments rejoignent les classes sociales et les classes sociales rattrapent les sentiments. Il devient difficile de dire si Eugen torture son amant parce qu’il a besoin de lui ou de son argent. Très vite, Fox devient touchant, à la fois maladroit et franc, il est amoureux et plonge dans la relation destructrice dont il ne peut se passer tout en rêvant rêve d’accéder au monde clinquant de la bourgeoisie. Et c’est Fassbinder lui-même qui interprète le rôle de Fox, avec son physique bourru et sa roublardise. Il dit avoir fait ce choix parce que le rôle l’intéressait mais aussi parce que, si lui l’interprétait, les critiques ne s’arrêteraient pas à la simple relation homosexuelle et ainsi ne passeraient pas à côté de l’aspect social du film. Drôle de raison quand on voit le résultat: une critique sans appel de l’inhumanité des rapports sociaux et même d’une certaine déshumanisation de la haute bourgeoisie.

MAMAN KUSTER S'EN VA AU CIEL

(Mutter Küsters’ fahrt zum Himmel – Allemagne – 1975)

Avec : Brigitte Mira, Ingrid Caven, Karl-Heinz Böhm, Margit Carstensen, Irm Hermann, Gottfried John

Tout passe à la moulinette dans ce film sans concession: la presse, les relations familiales, les partis politiques, tous plus inefficaces les uns que les autres, et pourtant, ce qui rend ce film émouvant, c’est le portrait de cette veuve qui a essayé de mener sa petite vie, bon an mal an et qui, dans la douleur, se retrouve seule, sans personne pour l’épauler au moment où elle vient de perdre son mari. Surtout que tout le monde exploite la mort de son mari: la presse à scandales qui fait de lui un monstre, les enfants qui profitent de l’attention dont ils font l’objet et surtout les "communistes de salon" qui profitent de la peine de Maman Küster pour l’embrigader et se désintéresser d’elle une fois qu’elle a pris sa carte. Fassbinder a signé là sans doute l'un de ses films les plus noirs. Mais aussi l'un de ses plus humains. Au fur et à mesure que Maman Küster est de plus en plus seule, le spectateur se rapproche de plus en plus d’elle, jusqu’à ne plus s’intéresser qu’à son avenir; la critique socio-politique disparaît au fur et à mesure du témoignage que Maman Küster fait face à un public communiste médusé. Fassbinder nous ramène à la réalité de cette femme pour nous asséner un dernier coup de poing. Parce que si elle est dans sa situation, c’est parce qu’elle est aussi apolitique que les petits bourgeois peuvent l’être. Cette naïveté est clairement dénoncée par l’auteur qui fait de Maman Küster le porte-parole de tous les préjugés de la petite bourgeoisie. Pour Fassbinder, cette femme est autant tragique que responsable de son sort et il n’est pas question de l’oublier. Avec une vision aussi noire, le film marque le spectateur longtemps après que le mot "fin" soit apparu sur l’écran.

Le film est présenté avec sa fin alternative, une scène toute à fait innocente qui donne une happy end au film. Celle-ci a été tournée à la demande du distributeur américain, et c’est atroce de voir cette fin après la fin originale qui est brève, noire et sans espoir. La fin alternative "rachète" en quelque sorte la petite bourgeoisie que condamnait Fassbinder et c’est tellement à l’encontre du propos de son œuvre que ça a quelque chose de surréaliste.

A noter : le coffret contient également La Troisième Génération, très bon film politique de Fassbinder, Le Voyage à Nicklashausen et Le Bouc, deux "bonus", deux longs métrages de Fassbinder parmi ses plus expérimentaux et sans doute ses plus passionnants car ses plus marqués au point de vue de la mise en scène.

par Yannick Vély

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Interactivité :

A noter tout d’abord l’extrême soin apporté à chaque copie de film. Même si l’image est de qualité pauvre, puisque Fassbinder prenait toujours la pellicule la moins chère, les couleurs ressortent plus qu’aux passages des films sur Arte. Le son a été travaillé de façon similaire: très clair pour la petitesse des moyens employés. Donc pas de 5.1 à l’horizon mais ce n’est tellement pas un problème.

Je ne veux pas seulement qu’on m’aime, documentaire sur Fassbinder, réalisé dix ans après sa mort. Extrêmement précis dans sa forme, le réalisateur a découpé son film en dix chapitres et chacun des chapitres porte sur un aspect du travail de Fassbinder: d’abord un portrait général, ensuite ses débuts, la mise en scène, l’image, le son, etc. Si cette approche systématique est un peu trop rigide pour être passionnante, le sujet du film lui-même, Fassbinder, est suffisamment profond pour que chaque chapitre soit intéressant à regarder. Notamment son travail sur le son, qui n'est pas forcément ce qui marque le plus chez lui, qui est dévoilé par son ingénieur du son de façon passionnante. En conclusion, un document intéressant, pas désagréable à regarder et qui contient beaucoup d’informations.

Conversation avec Fassbinder en 1978, un face à face avec un journaliste allemand qui ne comprend pas bien l’œuvre de Fassbinder et qui essaie toujours de le pousser dans ses derniers retranchements alors malheureusement, pas grand chose de passionnant ne ressort de cette conversation, sauf qu’on en apprend beaucoup sur le mode de vie de Fassbinder et de sa façon de travailler en groupe.

RWF dans les archives de l’INA, quelques images d’archives de l’époque du Droit du plus fort qui se révèlent très drôles, Fassbinder étant un type qui ne manquait pas d’humour – comme le prouvent ses films, même si ce n’est pas le ton qui domine.

Court métrage Le Petit Chaos, l'un des tous premiers films de Fassbinder (le second pour être exact), réalisé à la va-vite et fortement influencé par Godard. Une bande de trois étudiants n’arrive pas à gagner d’argent et décide de braquer une bourgeoise. Avec le butin, ils ne se paient que des choses futiles. Un propos déjà violent, radical, mais plein d’humour noir et de cynisme.

Allemagne en automne, le film que Fassbinder a réalisé pour ce film culte des années 70, pour lequel une dizaine de réalisateurs allemands ont fait un film (de fiction ou documentaire, c’est selon) autour des événements de l’automne 1977, quand plusieurs prises d’otages ont eu lieu pour tenter de faire libérer la bande à Baader et qui se sont arrêtées avec la mort "mystérieuse" des membres de la susdite bande, qui se sont tous suicidés la même nuit alors qu’ils étaient dans, soi-disant, la meilleure prison d’Allemagne. Le film de Fassbinder est un document brut où il se met en scène, troublé par les événements, réagissant au fur et à mesure des informations qu’il apprend et le tout étant mis en parallèle avec une interview extrêmement violente qu’il fait de sa mère, qui est prise pour donner le point de vue de la petite bourgeoisie allemande et qui finit par avouer qu’elle aimerait bien le retour d’un dictateur, alors qu’elle a vécu au moment du IIIe Reich. Un document d’une puissance dévastatrice.

Fassbinder Politik, le documentaire que l’on remarquera le plus dans le coffret: 26 minutes pour décrypter le point de vue politique de Fassbinder à travers Allemagne en automne (d’ailleurs, il sera préférable de regarder le documentaire avant ce film tellement il en apporte une lecture limpide), Le Voyage à Nicklashauden et La Troisième Génération. La journaliste Heinke Hurst effectue une analyse impeccable en n’écartant aucun aspect de travail de Fassbinder.

Bandes-annonces du Droit du plus fort, Tous les autres s’appellent Ali, La Troisième Génération et Allemagne en automne. Quatre bandes-annonces qui n’apportent pas grand chose mais qui donnent à voir des bandes-annonces allemandes, qui ne sont pas du tout comme les françaises ou les américaines (peut-être notamment parce qu’elles datent des années 70?) et qui s’avèrent très drôles tant elles sont solennelles et didactiques. A regarder toujours après avoir vu les films parce qu’elles en dévoilent les trois-quarts.

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