Coffret Mankiewicz

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LE PLUS BEAU CADEAU DE NOEL DE L’ANNEE

Carlotta vient d’offrir l'un des plus précieux cadeaux aux cinéphiles en sortant ce coffret exceptionnel. Il réunit trois films de l’un des plus grands metteurs en scène de tous les temps. Certes, les plus grands films du maître existent déjà en DVD: Eve, La Comtesse aux pieds nus ou L’Aventure de Mme Muir mais les trois films réunis ici sont loin d’être les moins intéressants. On parlera à leur égard de chefs d’œuvre mineurs. Et s’il est vrai qu’aujourd’hui on abuse de l’utilisation de l’expression chef d’œuvre, chez Mankiewicz, ce n’est pas une exagération. Ecrivain hors pair, ce cinéaste avait le chic pour transformer la moindre histoire en fable féroce. Mankiewicz est célèbre pour ses dialogues ciselés et mordants et cette réputation n’est pas usurpée. Mais ce serait un tort de limiter son art à la qualité de ses dialogues. Il savait raconter, inventer, pimenter des histoires comme personne d’autre à Hollywood. Orson Welles avait la mise en scène, Fritz Lang avait la rigueur morale, John Ford avait l’humanité et Mankiewicz avait la narration. Aujourd’hui encore, plus de cinquante ans après, Chaînes conjugales (le plus improbable mais le plus fascinant) reste un film qui tient en haleine de bout en bout, avec force, imagination et émotion. Les films de Mankiewicz prennent leur spectateur par la main en disant "voilà, aujourd’hui, je vais te raconter l’histoire de cette personne. Mais attention, pas ce que tout le monde sait. Non, moi, je vais te raconter l’histoire secrète, celle que tout le monde rêve de connaître". Et le spectateur n’est jamais déçu. Ce jeu de temporalité et de confidentialité permet à l’auteur d’aller au cœur de ses personnages et de les exposer complètement. Les films de Mankiewicz tirent leurs spectateurs vers le haut tout en leur racontant l’histoire la plus passionnante qui soit: l’homme et surtout… la femme. Une histoire que l'on se racontera dans des dizaines, voire des centaines d’années. Pas étonnant que ses films passent aussi bien l’épreuve du temps. On notera qu’en parallèle à la sortie du coffret, Carlotta sort également L’Affaire Cicéron seul (mais, sans vouloir pousser à la consommation, ce serait une sottise de se priver des deux autres films, c’est Noël après tout!).

LE CHATEAU DU DRAGON

Miranda reçoit une lettre inattendue: un cousin dont elle ignorait l’existence et qui appartient à la plus haute bourgeoisie lui propose de devenir dame de compagnie de sa fille.

Formé par dix années d’écriture et dix autres années de production, Mankiewicz n’est pas exactement un nouveau venu quand il réalise son premier film. Malgré cela, il est difficile de ne pas être impressionné par la maîtrise dont fait preuve le cinéaste pour son premier film. S’offrant le luxe de mêler imagerie gothique, pour ne pas dire expressionniste, avec une réflexion profonde sur la lutte des classes, le film a la chance d’être servi par un casting exceptionnel. Gene Tierney, sans doute le plus beau visage hollywoodien, campe avec perfection une fille de la campagne qui est étrangère chez elle mais aussi, forcément, dans la haute société. Son visage pur exprime une absence totale de cynisme et permet à l’actrice de pouvoir jouer la passion entièrement, sans que le spectateur trouve cela ridicule. Vincent Price n’est pas encore le pilier de chez Corman et déjà il joue un être sombre, hanté par de nombreux démons. Son visage à lui aussi joue un rôle capital, tant il sait jouer des ombres et reflète parfaitement l’imagerie gothique dans laquelle le film plonge lors d’un final impressionnant de noirceur. Les dialogues sont déjà très riches, mais ce qui reste le plus marquant est la mise en abyme de l’obsession pour sa descendance qu’éprouve le personnage de Price, qui sort du propre cadre du ressort dramatique pour donner lieu à une réflexion sur la lutte des classes, la survie des privilèges malgré les révolutions et surtout l’appartenance de la terre qui, noblesse disparue, devrait appartenir à celui qui la travaille. Mankiewicz ne va pas jusqu’à soutenir une thèse communiste dans son film, mais il offre un regard sur une société du siècle dernier et le spectateur ne peut pas s’empêcher de penser que cette situation fait écho avec une autre qu’il connaît bien: la nôtre. Un coup d’essai brillant et passionnant.

CHAINES CONJUGALES

Quatre amies devaient aller à un pique-nique de charité. L'une d'elle a préféré partir. Mais elle emporte un de leurs maris. Et les trois autres femmes n’ont aucun moyen de découvrir avant la fin de la journée de quel mari il s’agit.

Eclipsé par Eve, son film suivant et sans aucun doute le plus brillant, Chaînes conjugales n’en est pas moins un petit chef d’œuvre dont on ne peut que s’étonner du peu de renommée. A travers trois flash-back, Mankiewicz fait voler en éclat la petite vie bien tranquille des Etats-Unis. Il met à mal les rapports de couple avec finesse et donne un bon coup de sabot dans les relations sociales. Tout en offrant à voir un film drôle, intelligent et émouvant. Parce que l’on est ému par ces femmes qui luttent contre LA femme. Comme le dit le titre original, elles ne sont plus que des épouses. Elles sont définies par leur mariage et leur vie s’arrête là. Elles savent qu’elles ne sont pas de taille à lutter contre Addie Ross, cette femme idéale sur qui tous leurs maris fantasment. Alors elles essaient à leur façon de se rendre idéale aux yeux de leurs maris. L'une travaille, une autre ressemble à une gravure de mode. Mais leur mari n’est pas le seul problème, il y a également le milieu social: ce milieu bourgeois de province américaine qui fait horreur à Mankiewicz, où tout tourne autour des bals du Country Club, qui sont les mêmes tous les ans et le seul amusement "reconnu" pour adultes bien élevés. Des bals où se rencontrent des soi-disant amis alors que dès que l’adversité surgit, il n’y a personne pour se soutenir les uns les autres. Ces trois femmes viennent de recevoir une lettre assassine, quelque chose de terrible et, au lieu de faire bloc, elles ne peuvent pas s’empêcher de s’envoyer des piques, de se mentir. Au bout du compte, on ne peut pas s’empêcher d’éprouver une certaine sympathie pour Addie Ross, plus intelligente que les autres puisqu’elle a vu cela depuis longtemps. Certes elle est cruelle, mais comment ne pas étouffer dans tant de médiocrité? C’est en nous donnant à aimer ses personnages, tout en ne nous privant pas de nous montrer leurs travers, que Mankiewicz réussit à mettre en scène l'une des peintures humaines les plus riches qui ait jamais été filmée.

L'AFFAIRE CICERON

Dans l’Ankara de 1944, l’histoire de l’un des espions les plus célèbres. Profitant du terrain neutre qu’était la Turquie pendant la Seconde Guerre Mondiale, il vendait aux Allemands des photos de documents top secrets qui passaient entre les mains de l’Ambassadeur de Grande Bretagne.

L’Affaire Cicéron est sans doute le plus grand film d’espionnage de tous les temps. Il y a d’une part l’histoire, tout à fait authentique, de cet espion qui a réussi à vendre à prix d’or, des mois durant, les secrets les mieux gardés de la Seconde Guerre Mondiale. Et il y a la force de deux grands scénaristes: Mankiewicz et Michael Wilson, qui créent de toute pièce le personnage de celui qui n’était qu’une énigme au moment où ils ont écrit le film. D’un homme, on l’apprendra plus tard, tout à fait commun et profitant de la crédulité d’un autre homme, ils ont écrit LE rôle de la vie de James Mason, un serviteur d’une intelligence supérieure, à la répartie cinglante et au maniérisme fascinant. A cet homme, ils ont flanqué un objet de désir, une femme, une belle comtesse déchue à laquelle Danielle Darrieux a offert sa beauté classique et qui réalise ici, elle aussi, sans doute le plus beau rôle de sa carrière. Avec ces éléments, ils n’ont plus qu’à tisser une belle toile de mensonges, de faux semblants, d’intrigues, dans laquelle tout le monde se fait prendre. Personne n’en ressort indemne et c’est sans doute ce que le film a de plus savoureux. Mankiewicz nous offre là sans doute son film le plus captivant, le mieux rythmé et, peut-être, le mieux mis en scène. La fin est un enchaînement de climax tout à fait stupéfiant, qui laisse le spectateur dans un état de nervosité avancé. Là où le film atteint au chef d’œuvre, c’est dans sa peinture sociale. Mankiewicz ne s’arrête pas à nous offrir un pur divertissement, il ajoute en fond une réflexion (l'un des thèmes majeurs de son œuvre) sur les rapports entre maître et serviteur, ce qui maintient un homme dans sa condition, ce qui l’empêche d’en sortir. Il y a dans le film trois coups de feu et deux poursuites à pied. Et pourtant, voilà l'un des films les plus passionnants de l’Histoire du Cinéma. Un film qui prouve de façon éclatante qu’il n’est nullement besoin d’effets spéciaux quand on fait preuve de rigueur.

par Yannick Vély

En savoir plus

Interactivité :

Non seulement les films sont remarquables et leurs copies en parfait état, mais Carlotta ne s’est pas arrêté là: chaque film est accompagné de nombreux bonus, dont la plupart ont été réalisés pour ce coffret.

- Mankiewicz / Le Château du dragon: naissance d’un Auteur est une courte interview de Pascal Mérigeau au cours de laquelle il nous parle des débuts derrière la caméra de Mankiewicz. L'un des points les plus drôles de l’interview est quand Mérigeau nous explique que Mankiewicz n’aimait pas le roman dont le film est tiré et le trouvait banal, une maigre resucée de Rebecca. Surtout qu’il créera avec cette base un film largement supérieur à Rebecca. Le journaliste revient aussi longuement sur la complicité entre le réalisateur et son mentor, Ernst Lubitsch. Mankiewicz disait à son sujet: "Pour lui, je réaliserai une adaptation du bottin. Non, mieux, j’écrirai le bottin!".

- Le Château du dragon: fantasme de l’excès est une lecture tout à fait pertinente de la place du décor dans le film, une place de choix comme il convient pour un film gothique. Il n’y a aucun grande révélation mais une lecture intéressante pour le spectateur paresseux qui aime bien qu’on lui explique tout.

- Trois analyses de séquence autour du décor reprend le documentaire précédent pour pousser l’analyse plus loin. Cela renforce tout le bien qu’on pouvait penser de ce premier film. Un tel soin porté aux décors et à l’imagerie gothique en général est impressionnant, notamment quand le journaliste nous explique la façon dont les décors se rapprochent autour de la figure du mari, au fur et à mesure que le mystère s’épaissit, alors qu’au-dessus de la tête du rival, les plafonds ont justement tendance à s’élever.

- Gene Tierney, une vie de tourments est un court documentaire sur la vie de l’actrice. La forme est originale puisqu’il y a quelques photos ici et là mais la grande majorité des images utilisées provient du Château du dragon. Pour parler de ses relations parentales par exemple, ce sont des images de ses parents dans le film qui ont été utilisées. Etant donné la trajectoire tragique de sa vie, le fait de rester focalisé sur les images enchanteresses de l’un de ses premiers grands rôles confèrent au documentaire un caractère évanescent qui va très bien à l’image, au visage extraordinaire de l’actrice.

- All about Mankiewicz est le plat de résistance du coffret et au moins aussi important que les trois films l’accompagnant. Long entretien avec le cinéaste (deux fois 52 minutes) par Michel Ciment et Luc Bérault en 1983, le documentaire est riche en anecdotes et en révélations surprenantes, sur ses méthodes de travail comme sur celles de ses confrères hollywoodiens. Un seul regret: que l’interviewer soit aussi bavard, il semble interrompre Mankiewicz régulièrement et nous priver d’autres anecdotes. De toute façon, il semblerait qu’il y avait matière à faire non pas une série de deux mais de six ou huit parties.

- Mankiewicz, un cinéaste sans chaînes est un court entretien avec Patrick Brion sur la genèse et le tournage de Chaînes conjugales. Là encore, un programme tout à fait intéressant à regarder puisque Patrick Brion, qui connaît Mankiewicz sur le bout des doigts, n’est pas avare en petites histoires, notamment à propos de la façon dont il a réussi à décider Celeste Holm à interpréter la voix sans visage d’Addie Ross: "J’ai besoin de toi. Ava Gardner veut le rôle mais je préfèrerai que ce soit toi. – Bien sûr", répondit l’actrice pas du tout crédule. Elle eut toutefois raison d’accepter: Mankiewicz lui donna un rôle important dans son film suivant, l’immortel Eve.

- Chaînes conjugales: la vie déjoue toujours le scénario est une interview croisée de quatre cinéastes français contemporains. Pour un film aussi touchant et particulier, avoir les points de vue de personnalités aussi riches que Dominique Cabrera ou Jean Douchet est loin d’être inutile. Chacun d’entre eux offre son point de vue, son ressenti, sa fascination pour le film et il est impressionnant d’entendre que presque personne n’a la même vision d’un film aussi riche.

- Vanités est une analyse de L’Affaire Cicéron par Jean Douchet, qui signe ici un texte tout à fait intéressant quoique, encore une fois, avec un film aussi riche, c’est difficile de ne pas trouver que cette analyse n’apporte rien auquel on n’avait pas pensé avant. Un autre documentaire pour spectateur paresseux. Une bonne analyse mais sans rien d’exceptionnel, le plus grand intérêt résidant dans la concision et la justesse du texte, qu’il est tentant de reprendre quand il faut écrire une critique du film (tentation à laquelle l’auteur de ces lignes n’a pas succombé).

- Dans les coulisses de Cicéron est un court entretien avec Pascal Mérigeau qui parle de l’authentique Cicéron, le véritable espion. Petit problème: on dispose de très peu d’informations sur le vrai Cicéron pour que le documentaire respecte le contrat de son titre. En revanche, toute la façon dont l’histoire et l’écriture du scénario ont été faites est l'un de ces contes comme seul Hollywood a le secret et vaut le détour.

- Opération Cicero est La curiosité du coffret puisqu’il s’agit d’un film de 45 minutes, tourné trois ans après le film de Mankiewicz. Le film utilise exactement le scénario de l’original ainsi qu’une majorité de ses plans. Il est intéressant de le voir pour comprendre à quel point Mankiewicz attachait de l’importance aux détails et que c’était justement ces détails qui faisaient toute la richesse et l’immortalité de ses films. La composition des acteurs est aussi extrêmement proche de l’original et l'on peut apprécier d’autant plus le talent de James Mason et de Danielle Darrieux. Seul regret: sur la jaquette, le nom de Peter Lorre est mis en avant alors qu’il ne fait que quelques courtes apparitions.

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