Coffret Mai 68

Coffret Mai 68
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Evacuons d'abord ce qui fâche. Oui, un coffret DVD Mai 68, pour nous chanter les louanges de l'alternative économique, de l'anti-libéralisme, vendu près de cinquante euros dans un joli écrin, réifiant la lutte en un bel objet de collection bourgeoise, peut paraître déplacé. Cohérent, ceci dit, avec l'époque: quid du militantisme soixante-huitard en mai 05? Ce qui compte est là, finalement: les films existent, regagnent une visibilité perdue (qui, aujourd'hui, se souvenait d'eux?), et portent en leur sein le témoignage historique, politique et culturel de leur époque. De Doillon, Karmitz et Goupil, on n'attendait pas moins. Décryptage en trois axes.

L’AN 01: LA THEORIE

(France, 1972)

Avec Cabu, François Cavanna, Georges Wolinski

Anomalie géniale dans la filmographie de Jacques Doillon, bric-à-brac utopiste épatant, L'An 01 repose pourtant sur des bases d'une simplicité enfantine: un mardi à 15h, la population française, à une unanimité écrasante de 98%, décide de tout arrêter, au moins un temps. Plus de production, plus de rapports hiérarchiques, plus d'institutions, plus rien. Un break, un vrai. On vit, un temps, sur les acquis de la surproduction. Ensuite, peut-être, lorsque quelque manque se fera sentir, alors remettra-t-on les choses en route, ponctuellement, sélectivement. Et, à cette parcimonie des besoins vitaux, chacun mettra la main. En attendant, on redécouvre l'amour libre, la culture, la vie en communauté, l'entraide, on abolit la propriété et on jette les clefs dans les rues. Dans le reste du monde, de New-York (merci Alain Resnais... et Stan Lee!) à l'Afrique (merci Jean Rouch), on apprend la nouvelle par les journaux. Une furtive giboulée de corps s'abat alors sur la ville, depuis les buildings des bourses mondiales effondrées. Mais, dans sa grande majorité, la foule est en liesse : ils l'ont fait! Est-ce que ça va marcher? Et, si ça marche, osera-t-on leur emboîter le pas? Utopie, donc, que cette folie anar racontée sur le mode de la fable drolatique, par un réalisateur en liberté, d'après un dessinateur de génie, et avec un casting à l'avenant: Cabu, François Cavanna, Georges Wolinski, Gérard Depardieu, Miou-Miou, Gérard Jugnot, Coluche, Jacques Higelin, Christian Clavier (en hippie méconnaissable), Thierry Lhermitte (itou), Daniel Prévost, le Professeur Choron,… se bousculent au portillon, en un même élan iconoclaste, unique et généreux. Dans son poilant jusqu'au-boutisme chimérique de bout de ficelle, L'An 01 s'amuse sérieusement, prend les idéaux au pied de la lettre et ahurit: un tourbillon d'hilarité politico-rêvant, donc absolument jouissif et férocement indispensable.

COUP POUR COUP: LA PRATIQUE

(France, 1971)

Avec Simone Aubin, Jacqueline Auzellaud, Élodie Avenel

Sommet de la trop courte carrière de réalisateur de Marin Karmitz, dans la foulée de son implacable Camarades en 1969, Coup pour coup est sans doute le vrai bijou de mise en scène du coffret. Au-delà de l'uppercut politique, vigoureux coup de boule dans la prétention et le mépris patronal, c'est à un beau morceau de cinéma que Karmitz nous convie, forme d'apothéose avant de raccrocher la caméra. Hautement crédible et sans pathos, Coup pour coup s'impose en étourdissante démonstration de free cinema à la française. Tourné avec un souci pointilleux de réalisme, au cœur de son sujet, avec la complicité active d'ouvrières fortement impliquées, le film impose sa force visuelle comme un écho tranchant et farouche au ludisme de la Nouvelle Vague française. Montage brut, travail hypnotique sur la bande-son, intransigeance esthétique, Coup pour Coup saisit à la gorge et serre fort. Sans jamais s'épuiser. Exemplaire, didactique dans le bons sens du terme, Karmitz livre une pédagogie révolutionnaire pratique qui impressionne. Et achève de convaincre dans une envolée discursive finale superbe et âpre. La force du film ne passera pas inaperçue puisque, dès l’année suivante, Jean-Luc Godard en proposera une relecture avec Yves Montand et Jane Fonda, ironiquement nommée Tout va bien.

MOURIR A TRENTE ANS: LE BILAN

(France, 1982)

Avec Alain Bureau, Michel Recanati, Jacques Kédabian

De la théorie à la pratique, il n'y aurait donc qu'un pas, qu'un beau jour de mai, la France franchit crânement. Avant, certes, de se radiner, penaude, machine arrière toute. C'est cette montée canonisée mais dégonflable qu'aborde Romain Goupil, dans un de ces docu-fictions en forme de journal intime, qui font l’unité de sa filmographie. Dans ce coup d'essai se forge donc le style Goupil, désormais invariable mais toujours variablement efficace. Où l'on retrouve donc, à travers des bandes de jeunesse, le besoin glouton hérité du papa, Pierre Goupil (ancien homme à la caméra sur la Calypso), de bouffer de la pelloche. Où l'on constate déjà un art du montage finement ciselé. Où l'on entend toujours un discours complexe derrière le dévoilement intime. Et où, hélas, d’ores et déjà, l'on s'ennuie parfois du ton monocorde de cette voix, la sienne, posée off et pesante. Si, malgré tout, l'on songe, par moments, au récent et magnifique The Weather Underground, qui à son tour ternit l'image par trop idéalisée d'une jeunesse révolutionnaire en liesse, c'est davantage pour les beaux portraits humains que le cinéaste brosse avec humilité, que pour le discours, souvent sourdement mastoc. Restent toutefois des images diverses, souvent fortes et passionnantes, dont la valeur d'archive demeure indéniable.

par Guillaume Massart

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Interactivité :

IMAGE ET SON

Pas grand chose à reprocher aux éditions MK2 côté image. La copie de L’An 01 est globalement propre, Mourir à 30 ans est irréprochable et le coup de frais apporté aux couleurs de Coup pour Coup (film de toute façon le plus choyé de cette triple-mise en galette) fait vraiment plaisir à voir. Côté son, en revanche, il faudra se contenter, pour les deux soixante-dizards du lot, d’un mono pas toujours limpide. On songe notamment à L’An 01, filmé à l’époque avec les moyens du bord, et dont certaines succulentes répliques passent à l’as, pour cause de gloubiboulga saturé et indéchiffrable. On imagine toutefois aisément, à la décharge de MK2, que la copie d’origine ne devait, à ce niveau-là, pas être fameuse non plus.

SUPPLEMENTS L'AN 01

Grand absent de ces suppléments, pour cause de rancard scandaleusement prématuré avec la Faucheuse, Gébé les hante pourtant. L’ombre du génial dessinateur du Charlie historique plane en effet sur les quatre bonus réunis par MK2. L’amateur se précipitera logiquement vers ses compagnons de plume, Cavanna, Cabu et Charb, comptant sur ces professionnels de la déconne graphique engagée pour brosser un portrait juste du regretté barbouilleur. Mais si, de ces onze minutes hagiographiques et plates, on adorerait retenir autre chose que la décrépitude embarrassante d’un Cavanna vieillissant, on aura hélas du mal à dégager grand-chose de passionnant de cette gentille discussion sur canapé. Cavanna enchaîne les anecdotes radoteuses, Cabu les rires forcés et Charb semble s’emmerder un brin. Des trois C, c’est pourtant dans la bouche de ce dernier que se formeront les réflexions les moins plates : rapides considérations techniques, tentatives sommaires d’embrasser l’incroyable étendue de l’éventail de Gébé… On aura toutefois bon ton d’oublier vite fait cette déprimante débandade.

C’est heureusement de Jacques Doillon que viendra la lumière : le cinéaste, visiblement ému et toujours passionné par l’homme et l’artiste, rappelle dix-sept minutes durant la folle aventure de L’An 01. Projets au long cours lancés dans Charlie Hebdo comme des bouteilles à la mer par un Gébé jamais à court, le film et la BD resteront avant tout pour leurs conditions de montage uniques. Scénario monté par petites touches, par le biais des envois des lecteurs de l’hebdomadaire satirique (parmi lesquels, tiens donc, un certain Coluche, ou encore une bande de chevelus appelés à régner Splendid-ement sur la dynastie du rire à la française) et, dans la foulée, tournage itinérant à travers la France avec les mêmes… Un vrai projet collectif, prolongeant l’utopie fictionnelle au champ du réel, auquel un Doillon en admiration collaborera avec un enthousiasme encore persistant aujourd’hui.

Deux courts métrages inégaux complètent le tout. L'inventaire, d’abord, petit film déceptif de dix minutes signé Gébé, où l’on est d’abord intrigué par cette jeune femme invitée à faire l’inventaire de sa maison par une équipe de télévision, avant de se perdre dans un rythme trop relâché et une chute peu claire.

On ne se dit pas tout entre époux, signé cette fois-ci par Jacques Doillon, sur une idée originale du dessinateur, est autrement plus intéressant : le réalisateur y livre en sept minutes une sorte de préfiguration kafkaïenne à Orange Mécanique, un an avant le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick.

COUP POUR COUP

Il y a du bon et du moins bon dans la large moisson de suppléments, répartis sur deux DVD, de Coup pour Coup. Commençons par les plus oubliables. Une préface de Serge Kaganski, tout d’abord, soit trois minutes qui vous glissent hors de l’esprit sitôt visionnées.

Vient ensuite un premier entretien de sept minutes avec Marin Karmitz, assez prétentieux et vain, où l’on constate d’emblée qu’au « nous » collectif revendiqué lors du tournage du film, s’est substitué un « je », martelé et clair. Nous voilà, au moins, prévenus.

Mais le pire reste à venir, en une insupportable interview de Serge July, où le directeur de Libération passe vingt-six minutes à battre des bras, à bégayer, à s’emmêler les pinceaux, pour brasser un vent dont on ne niera pas l’authenticité, mais tellement décousu, déstructuré et hésitant, qu’il faut faire preuve d’une sacrée abnégation pour tenir l’intégrale.

Heureusement, ce premier DVD recèle aussi ses pépites, en la personne, tout d’abord, d'Olivier Rolin, dirigeant de la Gauche Prolétarienne à l'époque de la sortie du film, aujourd’hui écrivain. Au cours d’un entretien humble et posé, Rolin donne nombre de clefs de lecture de l’époque, se livre au délicat exercice de l’autocritique et réfléchit (ce que l’on attendait justement de Karmitz et, surtout, de July) quant à l’exercice de la lutte au jour d’aujourd’hui et à sa place personnelle dans celle-ci.

Reste le meilleur, même si a priori pas le plus engageant, en un passionnant entretien de seize minutes, qu’on adorerait voir durer au moins le double, avec Louis Joinet, avocat général à la Cour de Cassation. Réexaminant le propos du film à l’échelle de la légalité, Joinet apporte une inestimable eau au moulin de la justice sociale (il faut absolument l’entendre traiter des déséquilibres dans la balance de Dame Justice pour saisir à quel point notre homme de loi est pertinent). Où l’on ne manque pas de songer à un certain George Besse… Indispensable et percutant.

Le second DVD poursuit l’entretien avec Marin Karmitz, en un long making-of diversement captivant. En effet, tant que Karmitz s’en tient au « je », l’ennui et son proche pendant l’agacement guettent. Mais lorsque le réalisateur-producteur-distributeur embrasse de nouveau la dimension collective de l’aventure Coup pour coup, aidé en cela par de précieux documents vidéo retraçant pas à pas les étapes du tournage, dès lors qu’il oublie son si joli nombril, donc, il retrouve un souffle et une pertinence roboratifs. Voire se permet d’ouvrir la réflexion, en s’interrogeant sur la valeur de tel ou tel plan trop démonstratif que, dit-il, il ne conserverait plus aujourd’hui. Il faut donc tenir la longueur pour que Karmitz délaisse ses actuels atours trop proprets, et qu’enfin se fasse la confrontation entre l’homme de pouvoir du cinéma français que Karmitz est devenu, et le jeune cinéaste idéaliste, gauchiste tentant de se détacher de ses origines bourgeoises et fondateur du journal J’accuse, qu’il fut. Quiconque tient les deux heures est récompensé : la collision est passionnante et permet de faire en partie le lien, de mesurer le niveau d’eau passé sous les ponts, entre mai 68 et mai 05.

Enfin, cerise sur le gâteau, un beau documentaire d’une heure, présenté par son réalisateur Dominique Dubosc, permet de prolonger la question de l’opposition entre une violence d’Etat et une contre-violence sociale. Efficace et peuplé de belles et dignes figures prolétaires en noir & blanc, Le Conflit Lip méritait bien qu’on le tire de l’oubli.

MOURIR A 30 ANS

Bonus plus sommaires pour le dense documentaire de Romain Goupil. On se permettra de passer très vite sur un mol entretien auto-complaisant entre le cinéaste et son Marin Karmitz de mécène, pompeusement baptisé 30 ans après… Pour mieux rappeler qu’en 2002 est sorti Une pure coïncidence, dernier film en date de Goupil et peut-être son meilleur long métrage, hilarante réflexion sur les vétérans de 68.

On s’intéressera donc plus volontiers aux deux courts métrages qui complètent l’espace vacant sur le disque. Si Je sais pas, je sais pas ne nous apprend pas grand-chose de neuf, perpétuant, non sans efficacité, mais un peu noyé dans la masse, le travail du documentariste, Le Père Goupil retient autrement notre attention. Soucieux de son cadre, respectueux de ses motifs, Romain Goupil se met, et c’est bienvenu, un peu en retrait, pour laisser place au corps et à la voix de son père. En résulte un beau profil paysan, qui n’est pas sans rappeler – en moins radical et moins taiseux sans doute – ceux splendidement brossés depuis 2000 par Raymond Depardon. Tout d’humilité et de simplicité, Le Père Goupil envoûte.

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