Coffret Haneke - Benny's video

Coffret Haneke - Benny's video
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Benny est un jeune adolescent pas comme les autres, partageant son temps entre le vidéoclub dans lequel il loue plusieurs films par jour, et sa chambre, pièce destinée à abriter son impressionnant matériel de diffusion vidéo. Benny est un intoxiqué de l’image, et finit par ne plus vraiment faire la différence entre la réalité et la fiction. Perdu dans sa solitude, Benny invite une jeune fille chez lui, et la tue.

Dans l’invasion de violence orchestrée par une poignée de jeunes cinéastes au Festival de Cannes en 1992, on a trop rapidement assimilé le cinéma de Michael Haneke à une variante autrichienne de celui d’un, au hasard, Abel Ferrara. Comme si, en se focalisant sur une scène choc pourtant filmée hors champs, on choisit délibérément de passer sous silence un message en avance d’une dizaine d’années sur celui du récent Irréversible, et de considérer plus facilement ce cinéaste comme un jeune chien fou au cinéma certes austère, mais finalement simplement choquant et violent.

Bien entendu, il n’en est rien, et c’est à la lumière du douloureux Funny games que l’on peut aujourd’hui (re)découvrir ce Benny’s video, probablement plus naïf, moins abouti, mais tout aussi troublant, dans lequel Haneke nous invite à un voyage au fond d’une conscience. Celle d’un enfant perverti par son dieu image, de ses parents dépassés par le désordre intérieur de l’enfant, symbolisé par celui de sa chambre concentrationnaire, aux volets systématiquement fermés, au rangement rarement effectué. Enfermé dans un mutisme accentué par l’absence régulière des parents, ressentant une immense impression de solitude, Benny a besoin de parler, de raconter et de montrer ce qu’il voit, ce qu’il fait. Se passant en boucle les images filmées de son crime, il ne peut s’empêcher de les montrer à ses parents, qui finissent par lui témoigner ce minimum de considération que Benny demandait. Dormant chez un ami, il cherche à avouer ce crime, mais ce rétracte devant le peu d’intérêt que lui montre l’autre garçon. L’enfant cherche à communiquer, mais ne trouve que la bande vidéo pour exprimer ce qu’il ressent, pour faire passer ses idées, ses souvenirs, ses pensées, ses méfaits.

Quiconque a lu le synopsis du film s’attend à assister à une scène de meurtre insoutenable, une torture psychologique pour le spectateur proche de celle que Haneke réussissait à nous faire subir dans son Funny games (film avec lequel Benny’s video entretient une relation étrange). Au lieu de chercher à prendre le spectateur à un piège qu’il s’est lui même tendu, comme dans le film précité, le cinéaste choisi ici de ne pas filmer la scène, de ne pas montrer les plans violents dans lesquels le jeune homme frappe sa victime avec un pistolet pour bétail. Le meurtre se déroule hors champ, ainsi que sur l’écran de télévision, retransmettant les images que la caméra filme de loin, d’un coin de la chambre. Coupé par les bords du cadre de la télé, sans montage, sans trucage, le meurtre n’est qu’imaginé par le spectateur, aidé en cela par une bande son terrifiante, dénué donc de toute la chorégraphie de violence que le cinéaste dénonce chez les autres réalisateurs au long de chaque interview qu’il donne. Placé dans la position inconfortable d’un voyeur de films snuff, le spectateur n’a d’autre choix que celui d’espérer un réveil du personnage, ce moment salvateur dans lequel il comprendra son terrifiant égarement et le caractère répréhensif de ses actes. Ce moment arrivera trop tard, le film nous ayant déjà mis en face de nos propres erreurs, de nos propres doutes, de nos propres malaises.

par Anthony Sitruk

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Interactivité :

Le 7ème continent et Benny's Video sont proposés à la vente dans un coffret comprenant également 71 Fragments d'une chronologie du hasard.

Si l'interview du cinéaste, proposée en bonus du film, s'avère bien entendu passionnante (il y revient notamment sur la phrase qui a inspiré le projet, "Je voulais savoir ce que ça faisait", ainsi que sur la notion de culpabilité qui habite le film et le reste de son oeuvre), c'est avant tout le module des scènes coupées qui fait ici figure de petit événement. Comme expliqué dans le DVD, Haneke ne laisse quasiment rien sur la table de montage, tout ce qui est tourné est dans le film, et ses DVD ne peuvent donc proposer de scènes manquantes... Sauf Benny's Video. Au delà de deux ou trois scènes plutôt anodines sur lesquelles le cinéaste s'étend peu (les images, non montées, sont présentées avec un commentaire audio), c'est surtout celle du voyage en Egypte qui retient l'attention. Véritable leçon de cinéma, de mise en scène et de direction d'acteur, elle permet à Haneke de revenir sur les notions de pêché, de fuite, de culpabilité, et d'ajouter également des propos sur le cinéma documentaire et sur la théologie (le choix de l'Egypte n'étant pas hasardeux). Un bonus immanquable, donc, qui permet de mettre en lumière le film, par ailleurs lui aussi présenté dans une très belle copie.

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