Cauchemar de Darwin (Le)
Les rives du plus grand lac tropical du monde, considéré comme le berceau de l’humanité, sont aujourd’hui le théâtre du pire cauchemar de la mondialisation.
CRIME CONTRE L'HUMANITE
Le premier plan, un employé d'aéroport qui écrase un moustique contre une vitre, renvoie inévitablement à Brazil, le chef-d'œuvre de Terry Gilliam, fable fantaisiste sur la folie bureaucratique. Sauf que Le Cauchemar de Darwin ne se situe pas dans un monde parallèle mais bien au 21e siècle, en Afrique, en Tanzanie plus exactement, au bord du Lac Victoria. L'histoire pourrait faire rire si les conséquences n'étaient pas aussi tragiques. Dans les années 60, afin d'offrir aux Tanzaniens un produit d'exportation susceptible d'engendrer des richesses, des scientifiques européens ont implanté la Perche du Nil. Redoutable carnivore, ce gros poisson sans arête dont les filets abreuvent les rayons de nos supermarchés, finit par ravager la faune locale. La commission de Bruxelles implanta des usines de conditionnement du poisson, poussant une population qui vivait paisiblement du produit de la pêche à s'industrialiser de force. Une politique mise en échec. La concurrence rude entraîna une dramatique baisse des cours et les avions russes assurant le fret entre la Tanzanie et l'Europe organisèrent un trafic d'armes avec la complicité des autorités locales corrompues. Le documentariste Hubert Sauper (Kisangani Diary) saisit la cruelle vérité d'une Afrique pillée sans vergogne par le Nord prospère et démontre les mécanismes de la mondialisation, avec toujours au bout de la chaîne les mêmes victimes, prostituées de force pour tenter de survivre, mutilées par les innombrables guerres civiles et la malnutrition. Même si on peut douter, hélas, de son efficacité réelle (qui s'est soucié réellement de la famine au Niger?), Le Cauchemar de Darwin, filmé dans la clandestinité et donnant la parole à une génération sacrifiée, est un document essentiel sur notre temps.
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Interactivité :
Il faut commencer par saluer l'initiative de l'éditeur MK2 qui, après avoir sorti l'an passé l'excellent A l'ouest des rails de Wang Bing, se frotte de nouveau au documentaire engagé. Le DVD est de très honnête facture avec une image très contrastée. Hubert Sauper détaille ses méthodes de travail dans un long entretien (plus d'une demi-heure). Il revient notamment sur la préparation, les difficultés au quotidien pour voler des images contre la volonté des gouvernements en place, et le souci de ne pas influencer l'opinion du spectateur, en s'interdisant le recours à la musique ou à une voix-off explicative.