Alexandrie... New York

Alexandrie... New York
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Quinze ans plus tôt, Yéhia voulait déjà montrer ses films aux Etats-Unis. Pour être vu, il faut se livrer au regard. A travers son cinéma, ce pays pouvait ouvrir les yeux sur lui. Invité dans une prestigieuse rétrospective de son œuvre à New York, Yéhia revient confronter son passé au présent, mesurer dans sa chair le temps écoulé.

GINGER ET FRED

Alexandrie… New York se déploie dans cet entre-deux temporel, dans le glissement de deux images qui tenteraient vainement de se superposer. La narration va et vient entre ces deux tempos: celle du présent, d’un amour retrouvé, d’une paternité à conquérir; celle de son passé à Los Angeles, des études de mise en scène, de sa première histoire d’amour. Entre ce début et cette fin de vie, il y a un autre passage à New York, le même amour et la conception de ce fils, Alexandre, qui pourrait bien faire lien s’il ne refusait ce père embarrassant parce qu’arabe. Tissés d’allers et retours entre deux époques, le film se veut l’hybridation de deux cultures. Juifs, Egyptiens, Irlandais ou Américains, tous les personnages sont interprétés par des acteurs de langue arabe. Dans l’une des plus belles scènes du film, Yéhia rêve qu’il danse avec Rita Hayworth et revisite Carmen à la manière d’un ballet égyptien. Entre comédie musicale américaine et égyptienne, le film se rythme de spectacle et de ballets, d’amour et de larmes dans une débauche de sentiments, de violons et de danses. Mélodramatique, il mélange et déborde, dans la lignée du grand cinéma populaire, cinéma de la participation.

CE VIEUX REVE QUI BOUGE

Mais cette partie du film, aux allures de studio hollywoodien, appartient à un univers désormais mythologique, presque trop parfait pour avoir pu prendre corps dans le réel, quand chaque moment de danse intégrait les spectateurs à la scène. Yéhia et Ginger tombaient amoureux l’un de l’autre le temps d’une danse, au milieu des spectateurs. Lorsqu’il récitait Hamlet, Yéhia jetait une chaise dans la salle au risque de tuer quelqu’un. Devant ces spectacles offerts, on pouvait enjamber la rampe. Il n’est plus question désormais de participer au spectacle. Dans le New York d’aujourd’hui, père et fils ne font qu’échanger leur place de spectateur autour de leur art respectif. Ce que l’on voit se regarde depuis un fauteuil, se livre sur toute la largeur de l’écran. Aux dernières images du film, Alexandre, devant un film de son père, pleure, enfin ému. Yéhia, lui, est retourné voir son fils danser Zorba le Grec, histoire d’amitié entre un Américain et un Crétois. Il sort de la salle pour se perdre dans la foule, sous la pluie et sans plus de larmes, tel un Gene Kelly qui ne pourrait plus chanter… Se donner à voir n’engendre pas toujours de regard. Alexandrie… New York se résume aux points de suspension de son titre, lien fragile, au bord de la déchirure. La tragédie se joue désormais entre ces regards qui ne peuvent se rejoindre, qui n’ont plus d’objet à partager. C’est alors le film tout entier qui tente de faire lien. Il est devenu la scène qu’un regard déploie pour en croiser un autre.

par Yannick Vély

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Interactivité :

Les bonus d’Alexandrie… New York ne sont pas nombreux. Bien que le DVD rende hommage par sa qualité à la comédie musicale, que plusieurs versions du film soient disponibles (arabe, arabe STT, français et français STT) et que la présentation du film retransmette l’atmosphère du film, il y a peu sur le DVD à se mettre sous la dent hormis une bande-annonce fort belle et un documentaire de 52 minutes d’Anne Andreu, Les Mondes de Youssef Chahine.

Plutôt complet et bien construit,ce making of d’Alexandrie… New York est prétexte à revisiter toute la genèse d’une œuvre, entre succession d’extraits de films, d’entretiens avec le réalisateur et d’une interview d’Humbert Balsan. Procédant chronologiquement, abordant tous les thèmes cruciaux de l’œuvre de Chahine (le peuple, l’épopée, la lutte contre les fanatismes de toutes sortes, la relation amoureuse et la chair, l’autobiographie), il réussit à rendre palpable le parcours d’un réalisateur toujours engagé, toujours pris entre deux feux, qui ne sait ni pactiser ni se taire. Chahine en 1994 réalise L’Etranger, qui lui vaudra quatre ans de démêlés avec la justice égyptienne et une mise au banc de la société par les représentants du culte musulman. On trouve là l’origine du Destin, mais aussi de quoi admirer plus encore le geste que représente son dernier film. Au-delà d’une agiographie, se dégage malgré tout l’image d’un homme séducteur et chaleureux, égocentrique et ouvert, énergique et énervé. On ne peut toutefois pas aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’un portait nuancé mais tout du moins, qu’il a le mérite de tenter, non sans illusion, de cerner un artiste et son œuvre.

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