Souvenirs de Marnie
Omoide no Mani
Japon, 2014
De Hiromasa Yonebayashi
Durée : 1h43
Sortie : 14/01/2015
Très solitaire, et renfermée, Anna a perdu ses parents très jeune, et vit en ville avec ses parents adoptifs. Lorsque son asthme s’aggrave, sa mère adoptive l’envoie chez des parents, les Oiwa, qui vivent près de la mer dans un petit village au nord d’Hokkaïdo. Pour Anna, c’est le début d’un été d’aventures qui commence par sa découverte d’une grande demeure construite au cœur des marais, non loin du village. Même si elle semble avoir quelque chose de familier pour elle, La Maison des Marais, comme l’appellent les villageois, est inhabitée depuis bien longtemps. Et c’est là-bas qu’elle va faire la rencontre d’une étrange et mystérieuse fille : Marnie…
TEMPURA DE TOMATES VERTES
A la sortie de Arrietty, le petit monde des chapardeurs, précédent long métrage de Hiromasa Yonebayashi, nous nous interrogions sur le futur de l’animation japonaise. Depuis, les choses se sont accélérées : Hayao Miyazaki a annoncé sa retraite, ce qui n’est pas le cas de son aîné Isao Takahata mais celui-ci ne rajeunit pas, et la pause/restructuration de Ghibli ressemble de plus en plus à une triste fin. Il y avait une émotion particulière au dernier plan du Vent se lève, ultime long métrage de Miyazaki, il y en a une aussi lorsque s’achève Souvenirs de Marnie, qui restera peut-être comme le dernier Ghibli.
Mais l’émotion n’est pas qu’extra-filmique. Comme dans Arrietty, Yonebayashi marie une certaine modestie de l’histoire et un imaginaire ambitieux. Dans Arrietty, le monde visible des humains cachait un autre, celui des chapardeurs. Dans Souvenirs de Marnie, c’est dans l’imaginaire-même que se déploie un autre monde. Jeune fille solitaire, Anna, venue de Sapporo, vient passer un été dans une campagne où les routes sont truffées de nids de poule. Au loin s’élève une villa abandonnée. Que se passe t-il derrière sa fenêtre en baie ? Une barque mystérieuse s’avance, invite l’héroïne à la découverte comme le réel bascule dans le merveilleux - on croit voir resurgir la barque fantôme des Contes de la lune vague après la pluie. Le décor, dans les productions Ghibli comme chez Yonebayashi, n’est jamais une simple et jolie chose décorative : il doit susciter la rêverie, stimuler l’imaginaire, qu’il s’agisse de la nouvelle maison d’Anna à l’esthétique Sylvania ou de cette villa rêvée. Souvenirs de Marnie parle de solitude, de mal-être adolescent et d’un deuil à faire : l’imaginaire et la poésie ont leur mot à dire, Yonebayashi le montre avec beauté et délicatesse.
Mais si l’imaginaire peut guérir les blessures, il ouvre aussi des portes sur mille perceptions du monde – ou d’un film. Les métaphores sexuelles peuvent être une tarte à la crème bien commode plaquées sur n’importe quel film. Mais, devant Marnie, on en vient souvent à se demander de quoi rêve cette garçonne en pensant à cette jeune fille, sorte de Princesse Sarah blonde qui apparaît dans ses rêves et qu’elle dessine avec adoration. Il y a cette surprenante scène de vaudeville quand Anna se saoule car elle voit sa Marnie danser avec un garçon, avant de lui faire une vraie scène. « Tu rames très bien », se congratule t-on. Une grand-mère solitaire insiste sur cette famille qu’on se choisit (même s’il y a plusieurs façons de se choisir une famille), tandis qu’au loin se dresse comme un épouvantail repoussant un énorme silo phallique qu’on dit hanté. Pas assez pour en faire un nouveau Beignets de tomates vertes ? Le dénouement viendra nous contredire en partie mais c’est aussi la richesse de cette porte ouverte, de réalités et allégories enchevêtrées, et de miroir prêts à renvoyer plusieurs reflets.