Tabou
Tabu
Portugal, 2012
De Miguel Gomes
Scénario : Miguel Gomes, Mariana Ricardo
Avec : Teresa Madruga
Photo : Rui Poças
Durée : 1h59
Sortie : 05/12/2012
Une vieille dame au fort tempérament, sa femme de ménage Cap-Verdienne et sa voisine dévouée à de bonnes causes partagent le même étage d’un immeuble à Lisbonne. Lorsque la première meurt, les deux autres prennent connaissance d’un épisode de son passé...
NOSTALGIE DU FUTUR
Tabou s’ouvre sur une jungle, une jungle presque artificielle, filmée en noir et blanc et peuplée de personnages du passé, comme issue d’une lointaine mémoire collective. Cette introduction vient d’emblée placer le nouveau long métrage de Michel Gomes (lire notre entretien) sur une double piste : le réalisme et le merveilleux. Car que sont ces premiers plans sinon un clin d’œil aux tout premiers documentaires de l’histoire du cinéma, films coloniaux et animaliers tournés dans des contrées lointaines pour être montrés dans des cinémas occidentaux ? Or c’est justement dans un cinéma que se termine cette étrange séquence qui mélange sociologie et fantastique, histoire des peuples et fantômes amoureux. Un équilibre funambule et saisissant, à l’image du film entier qui semble sans cesse inventer son propre langage cinématographique, empruntant certains éléments de l’histoire du cinéma (le noir et blanc mais aussi les vieux mélos exotiques hollywoodiens) pour les redistribuer dans une grammaire très contemporaine.
L’erreur serait alors de prendre Tabou pour une œuvre de pure théorie. Il n’en est rien, tant il est au contraire d’une grande simplicité et fluidité. Fantastique voyage sur la mémoire (celle du cinéma, de l’Afrique colonisée mais aussi mémoire personnelle) où, à peine évoqués, chaque souvenir, chaque rêve, chaque histoire prend vie à l’écran et devient fiction. Tabou prend alors des airs de miroir magique, où le réalisme des rapports humains (des voisines récalcitrantes, des déclarations d’amour maladroites) trouve un écho fascinant dans un monde de souvenirs où plane l’ombre du fantastique (une bête sauvage qui rôde solitaire dans la forêt, un animal domestique se révélant être un crocodile).
Si le film doit trouver un écho dans le cinéma contemporain, ce serait très loin des collègues européens de Gomes (même si l’on pense parfois au superbe dénouement de La Maladie du sommeil de Köhler). Plutôt du coté de la jungle thaïlandaise d’Apichatpong Weerasethakul (décidément devenu l’un des mètres étalons des œuvres les plus pointues et magiques du moment). A l’image de Oncle Boonmee, Tabou est un chef d’œuvre du merveilleux, un livre d’histoires d’une richesse imprévisible. Et tout comme Weerasethakul, c’est paradoxalement en traitant l’imaginaire avec le plus grand réalisme que Gomes parvient à retranscrire avec tant de force son pouvoir évocateur. Ici, ce sont les histoires que l’on se raconte qui viennent délivrer les hommes du labyrinthe quotidien. De théorique, le film devient alors bouleversant.