Au-delà des montagnes
Shan he gu ren
Chine, République populaire de, 2015
De Jia Zhang Ke
Scénario : Jia Zhang Ke
Avec : Zhao Tao
Photo : Nelson Yu Lik-wai
Durée : 2h06
Sortie : 23/12/2015
Chine, fin 1999. Tao, une jeune fille de Fenyang est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zang et Lianzi. Zang, propriétaire d'une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que Liang travaille dans une mine de charbon. Le cœur entre les deux hommes, Tao va devoir faire un choix qui scellera le reste de sa vie et de celle de son futur fils, Dollar. Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l’Australie comme promesse d’une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin.
BRIGHT FUTURE
“En avant pour une nouvelle ère”, s’écrie la jeune Tao à l’aube du nouveau millénaire. La raison de son enthousiasme est pourtant bien terre-à-terre, puisqu’il s’agit alors pour elle d’aller faire un tour en voiture avec ses deux amis. Un tour en voiture qui ne les mène d’ailleurs nulle part, si ce n’est dans de magnifiques paysages à la fois ouvriers et désolés, mais qui est aussi un entrainement symbolique pour le grand bon vers l’avenir qui se prépare. L’avenir des protagonistes, dont le triangle amical est voué à l’échec, mais aussi l’avenir de la Chine toute entière. L’histoire de Tao commence en 1999 pour se terminer en 2025, mais Au-delà des montagnes n’est pas seulement le film le plus ambitieux de Ja Zhang Ke, c’est tout simplement son meilleur.
Que ce soit à travers ses fictions ou ses documentaires, Jia Zhang Ke a toujours eu à cœur de filmer en filigrane les mutations de son pays. Le plus souvent à travers un cadre formaliste et rigoureux, mais depuis quelques années, son cinéma semble s’être encore étoffé, nuancé. Comme si ses films étaient devenus à la fois plus ambitieux et plus accessibles, sans rien perdre de leurs hallucinantes qualités plastiques (grâce à la photo de Yu Lik-Wai, y a-t-il une seule scène du film, même triviale, qui ne soit pas splendide ?), Au-delà des montagnes poursuit l’ouverture que A Touch of Sin, le précédent film du réalisateur, avait amorcée. Là où ce dernier tirait une énergie inédite d’emprunts au cinéma de genre (western, thriller, film de vengeance), Au-delà des montagnes bouleverse en prenant la forme d’un mélodrame.
Les deux heures de Au-delà des montagnes, divisées en trois parties (passé, présent et futur) passent très vite, mais le principal tour de force de Jia Zhnag Ke se situe ailleurs. D’une part, dans l’équilibre rare entre les registres : sans jamais cesser d’être émouvant, le film réserve plus d’un détail décalé, et s’ouvre même sur la scène la plus drôle de toute sa filmographie (il faut d’ailleurs le voir pour le croire). Mais aussi dans l’incroyable fluidité de ce récit à cheval sur les décennies et les frontières. Au-delà des montagnes est aussi simple à suivre qu’il est riche et ambitieux thématiquement, ce qui n’est pas une mince alliance. Si le drame en question est celui d’une femme délaissée par sa famille, c’est aussi celui d’une génération projetée trop vite dans l’avenir. Une génération victime de la transformation brutale de la Chine contemporaine, des hommes et des femmes perdus au point de ne plus se rappeler leur propre langue, leur propre nom.
Où trouver sa place dans le monde quand le pays dans lequel on a grandi n’existe plus? Jia Zhang Ke donne chair à cette angoisse en parsemant l’histoire de Tao de plans filmés à la volée au fil de ses précédents tournages. Des images plus ou moins anciennes, anonymes, aux sources et aux grains d’images divers, comme sauvées d’un autre monde : un monde révolu. Le futur vu par le réalisateur chinois est d’un calme trompeur, déshumanisé. Mais il ressemble comme deux gouttes d’eau à notre présent. L’histoire de Tao, génialement interprétée par Tao Zhao, l’épouse du réalisateur, traverse les décennies et même les formats d’images (qui changent en cours de route), pour nous atteindre en plein cœur.