L'Autre
France, 2008
De Patrick-Mario Bernard, Pierre Trividic
Scénario : Patrick-Mario Bernard, Pierre Trividic
Avec : Dominique Blanc, Cyril Gueï
Photo : Pierric Gantelmi d'Ille
Musique : Rep Müzak
Durée : 1h37
Sortie : 04/02/2009
Anne-Marie se sépare d’Alex. Il veut une vraie vie conjugale. Elle veut garder sa liberté. Ils se séparent sans heurt et continuent à se voir. Pourtant, lorsqu’elle apprend qu’Alex a une nouvelle maîtresse, Anne-Marie devient folle de jalousie. Et bascule dans un monde inquiétant, fourmillant de signes et de menaces.
VERTIGES DE L'AMOUR
Le couple Bernard/Trividic s'était déjà fait remarquer avec le documentaire Le Cas Howard Philipps Lovecraft, et surtout leur premier long métrage, Dancing, film pas totalement abouti mais doté d'une atmosphère fantastique très atypique dans le cinéma français - voire le cinéma tout court. L'Autre creuse le sillon. Bernard et Trividic vadrouillent dans le fantastique, donc dans le réel, dont on capture l'étrangeté dès les premiers plans: ces embouteillages sur l'autoroute, filmés en plongée comme un flux sanguin, dans un film qui reprendra largement ce motif du transport, ces boucles sans destination, absurdes, qui finissent par faire des noeuds abstraits et où l'on pense apercevoir son double de l'autre côté des rails. La jalousie gronde dans un décor tout laid, déshumanisé à l'extrême, virée à Rosny 2, nuit banlieusarde et RER moche, dans un long métrage pourtant de toute beauté. "Le plus extraordinaire dans la jalousie, c'est de peupler une ville, le monde, d'un être qu'on peut n'avoir jamais rencontré", écrit Annie Ernaux dans la nouvelle ici adaptée. Les murs nus suintent de cette présence, invisible mais là dans chaque ombre.
Invisible mais obsessionnel, cet Autre qui est la clef de la tension sexuelle du film. Histoire de miroir avec les codes duquel on joue, dans un désir malade et permanent de projection, d'appropriation, de distance avec le réel alors que la glace n'en renvoie que le triste et indigne reflet. Ici, l'héroïne, bienveillante assistante sociale au vernis qui craque, sexuellement agressive et persuader qu'elle peut faire bander si elle le décide, mais contrainte à observer les étreintes de ses voisins pendant qu'elle picole son scotch, seule femme pour lui mais ce dernier sort avec son double.... le miroir fantastique ne fait que ramener Anne-Marie à ce qu'elle est. Dans L'Autre, on ne traverse pas le miroir comme chez Lewis Carroll ou Jean Cocteau, on essaie de le briser à coups de marteau: le fantastique reste là un habit du mélodrame, sur cette folie qui guette une femme dit-on toute ordinaire. Dans cette peau-là, Dominique Blanc, couronnée au Festival de Venise pour ce rôle, est grandiose, énorme, sublime, imposant sa musique, son sourire à bluff, son clair-obscur, de façon absolument magistrale. "J'étais le squat d'une femme que je n'avais jamais vue". Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic assiègent avec succès cette projection mentale, blessure de l'ordinaire accidenté jusqu'au fantastique.