Que Viva Eisenstein !
Eisenstein in Guanajuato
Royaume-Uni, 2015
De Peter Greenaway
Durée : 1h45
Sortie : 08/07/2015
En 1931, fraîchement éconduit par Hollywood et sommé de rentrer en URSS, le cinéaste Sergueï Eisenstein se rend à Guanajuato, au Mexique, pour y tourner son nouveau film, Que Viva Mexico !. Chaperonné par son guide Palomino Cañedo, il se brûle au contact d’Éros et de Thanatos. Son génie créatif s’en trouve exacerbé et son intimité fortement troublée. Confronté aux désirs et aux peurs inhérents à l’amour, au sexe et à la mort, Eisenstein vit à Guanajuato dix jours passionnés qui vont bouleverser le reste de sa vie.
UN NOUVEAU RUSSE
La Ronde de nuit, Le Ventre de l’architecte, Meurtre dans un jardin anglais... Cinéaste esthète, Peter Greenaway (lire notre entretien) a souvent filmé des artistes, réels ou non, et leur pulsions, que celles-ci soient artistiques ou sexuelles (et le plus souvent, les deux ensemble). Avec Sergueï Eisenstein, il s’attache pour la première fois à un réalisateur. Et pas seulement un « collègue » du même domaine artistique, mais surtout un cinéaste qui, comme lui, a fait preuve d’une passion folle pour l’image et le montage. Eisenstein n’est-il pas considéré comme le père de la grammaire cinématographique contemporaine ? De son côté, on réduit souvent Greenaway à un âge d’or remontant aux années 80/90. C’est oublier qu’il continue depuis son travail de recherche picturale dans des projets multimédias, certes souvent inédits chez nous, mais témoignant d’une volonté ludique de trouver une forme toujours renouvelée de faire du cinéma. Il fallait bien un auteur aussi inventif visuellement pour tenter de rendre hommage au maître russe.
La richesse visuelle de Que Viva Eisenstein ! ne surprendra peut-être pas les habitués du cinéaste (qui est cette fois un peu plus sage que dans le foisonnant The Tulse Luper Suitcases, par exemple), mais cueillera ceux qui, on l’espère, le redécouvriront. Si Eisenstein, le personnage, peut paraître fou, c’est surtout l’image qui est ici zinzin : incrustations, dédoublements, triple split screen (comme dans le générique de Dallas!), magnifique travelling latéral où se mélangent des angles de vue contradictoires... Parfois entêtante, la flamboyance de ce montage tout en effets n’est pas gratuite. On retrouve ici la théâtralité exacerbée de ses décors, plateaux symétriques et luxuriants, à la fois inquiétants et riches (dont un plancher opaque donnant des plans surprenants). Si le numérique saute parfois volontairement aux yeux, c’est que, comme à son habitude, Greenaway s’empare de l’artifice comme d’un outil. Et paradoxalement, cela fonctionne. Car cette folie apporte bien sûr un vrai rythme mais donne surtout au récit une dimension émouvante.
Car pour le futur réalisateur de Que Viva Mexico, le Mexique est moins un théâtre qu’un cirque. Lui-même joueur comme un enfant au début du film, il va devoir subir l’épreuve du feu de la découverte de sa sexualité. En effet, Que Viva Eisenstein ! n’est heureusement pas un biopic, le film ne témoigne pas non plus de la naissance d’une œuvre, c’est l’histoire d’un épanouissement à la sexualité. Provoquant, Greenaway met autant de cœur à filmer une fois de plus ses deux sources d’inspiration préférées : la mort (très belles scènes de corps momifiés) et le sexe (avec à la clé une scène centrale assez graphique). Son Eisenstein passe son temps nu et dialogue joyeusement avec son pénis. Rien de très neuf pour un cinéaste qui a déjà plus d’une fois filmé une sexualité masculine paillarde ? Peut-être, mais derrière ce carnaval (celui de la mise en scène, comme celui de ce Mexique de bande dessinée), se trouvent pourtant une fluidité et une profondeur surprenantes. C’est peut-être ça, la vraie nouveauté : derrière ses obsessions de geek inventif, Greenaway montre qu'il a du cœur. Grâce à un personnage principal touchant, Que Viva Eisenstein ! est son film le plus simple et le plus humain depuis un bout de temps.