Au-delà des collines
Beyond the Hills
Roumanie, 2012
De Cristian Mungiu
Scénario : Cristian Mungiu
Durée : 2h35
Sortie : 21/11/2012
Alina revient d’Allemagne pour y emmener Voichita, la seule personne qu’elle ait jamais aimée et qui l’ait jamais aimée. Mais Voichita a rencontré Dieu et en amour, il est bien difficile d’avoir Dieu comme rival.
LE CRÉPUSCULE DES DIEUX
La question du "film d'après" pour Cristian Mungiu (lire notre entretien), révélé par sa Palme d'or surprise de 4 mois 3 semaines 2 jours, était périlleuse. Au-delà des collines confirme, si besoin était, que Mungiu n'est pas l'homme d'un simple hold up. Au-delà des collines a l'apparence du film d'Auteur (grand A) qui gonfle ses muscles pour impressionner (soit 2h30 de nonnes qui chuchotent) mais on n'est pas, ici, face à un étouffe belle-mère endormi par sa propre pesanteur. Au-delà des collines est fébrile et bouillonnant comme les retrouvailles, au début du film, entre ses deux héroïnes. Ceux qui s'attendent à voir une version rustique d'une série B d'exorcisme seront peut-être déçus: pas de nonne possédée qui jure en latin accrochée au plafond. Mais Mungiu est un fin architecte. Sa construction, minutieuse, parvient à rendre concrets, palpables, des éclats de violence alors qu'une jeune fille, à l'écran, se contente de renverser une petite icône par terre. Avec autant de densité d'écriture, de mise en scène, Mungiu n'a pas besoin de gerbe de sang pour faire ressentir cette violence contenue et qui ne demande qu'à exploser.
Comme dans 4 mois 3 semaines 2 jours, Au-delà des collines s'organise autour d'un trio composé de deux jeunes femmes complices et d'un homme au-dessus d'elle. Mais dans ces deux films, il y a quelque chose d'encore supérieur, de plus écrasant. Le crépuscule du régime de Nicolae Ceaușescu dans l'un, l'église orthodoxe dans l'autre. Qu'il s'agisse de politique ou de religion, Mungiu s'intéresse, selon ses propres mots, à ce que "les gens font au nom de leurs croyances". Les corps se heurtent toujours à un carcan trop serré pour eux chez Mungiu. L'intérieur de l'utérus d'une jeune femme qui cherche à avorter, ou la chair frémissante d'une autre dont les amours ne sont pas solubles dans la religion. Au-delà de ces questions particulières, une vision plus universelle des individus écrasés par un ordre plus grand qu'eux.
Une fois de plus impressionnant formellement, Mungiu choisit d'abord de longs plans fixes, chorégraphiés, où la direction d'acteur fait merveille, avant de faire davantage de place, petit à petit, à une caméra plus mobile, lorsqu'on crève l'abcès. Rien de didactique pourtant puisque Au-delà des collines n'est pas un film à charge, ni un film qui montre. Sa longueur établit un rapport différent, plus sensible, à ce qui se passe à l'écran, aux personnages. Un trouble s'installe lorsque cette histoire sans époque se retrouve bel et bien datée, aujourd'hui, hors du monde et pourtant en plein dedans. Un peu comme dans 4 mois... où, sur les murs d'une chambre, on trouve un poster de Virgin Suicides de Sofia Coppola alors que le récit est censé se dérouler à la fin des années 80. Mungiu et son cinéma sont moins rigides qu'il ne paraît. En témoigne ce flirt final inattendu avec le fantastique, hésitation somme toute logique dans cette histoire de choix effectués dans le noir.