Real
Riaru Kanzen Naru Kubinagaryu no Hi
Japon, 2013
De Kiyoshi Kurosawa
Scénario : Kiyoshi Kurosawa
Durée : 2h07
Sortie : 26/03/2014
Koichi et Atsumi se connaissent depuis toujours. Atsumi tente de se suicider et tombe dans le coma. Au cours d'une expérience scientifique, Koichi va pénétrer dans le cerveau d'Atsumi et enquêter sur ce qui a pu la pousser au suicide...
EXTRÊMEMENT FORT ET INCROYABLEMENT PRÈS
Les personnages de Kiyoshi Kurosawa (lire notre entretien) sont souvent hantés par une faute originelle, le poids de la culpabilité, quelque chose à expier. Ce qui pèse sur le héros de Rétribution ou sur les fillettes de Shokuzai, c'est ce souvenir entêtant de la faute, cette tache qui envahit l'esprit. C'est souvent, aussi, ce qui empêche ses personnages d'être totalement humains, ils sont littéralement fantômes ou bien c'est comme si: le passé les avale et le présent est à peine là. Real, incursion du maître nippon dans la pure science-fiction, met, si l'on peut dire, les mains dans le cambouis. L'horreur cérébrale de Kurosawa laisse place à une SF où l'on pénètre directement dans le cerveau pour voir ce qui s'y cache. Comment se reconnecter au réel. Et être vivant.
Un jeune homme tente l'expérience de pénétrer dans le subconscient de la jeune fille avec qui il a tout vécu, et qui a tenté de se suicider un an plus tôt. Celle-ci est dans le coma, motif récurrent chez ce cinéaste fasciné par l'entre-deux mondes. Je me demande ce qu'il y a derrière ça, demande l'un des personnages principaux perdus dans la brume. On en vient à se demander s'il ne va pas croiser la mère éplorée de Shokuzai dans cet épais nuage. Le réel est toujours une notion fragile chez Kurosawa, le surnaturel s'imprègne dans la vie comme une trace de moisissure dans le mur. Le doute s'installe très vite dans l'ironiquement nommé Real (on préfèrera d'ailleurs le beau titre A Perfect Day for Plesiosaur). Quand Koichi prend le volant de sa voiture, le décor qui défile derrière est celui d'une ville irréelle, dessinée, on se croirait dans la vidéo de Can't Get You Out of My Head (on n'en sort pas) de Kylie Minogue. Les fantômes flous, réminiscences de Kaïro, ne tardent pas à apparaître. Avant d'autres apparitions: puisque réel et surnaturel se mélangent, les créations horribles de l'héroïne Atsumi, mangaka dans la lignée des Junji Ito, envahissent l'écran.
Derrière ce jeu sur la limite et la frontière, où les portes poussent toutes seules dans les appartements, où l'eau de l'inconscient envahit la chambre, il y a une histoire poignante d'amitié ou d'amour platonique. Une histoire de deuil, et de refus du deuil, jusque dans le surréel. Les visages disparaissent, mais on se refuse à cette fatalité. Lors d'une séquence d'une puissance extraordinaire dont l'atmosphère apocalyptique rappelle le finale de Melancholia, la ville tremble, disparaît comme les couleurs d'une peinture trempée dans l'eau. Scène sublime qui n'est pas la seule de ce long métrage.
Real est le film d'un immense poète, et un très grand film sur l'imaginaire. Un imaginaire qui se faufile dans une fête foraine abandonnée, ou dans une maisonnette où l'on assiste, bouche-bée, à une sorte de fascinante procession de fantômes derrière des voiles. La science du cadre de Kurosawa, sa lumière envoûtante, renversent et bouleversent. Il y a des moments de Real où l'on a l'impression que le réalisateur n'a même pas besoin de raconter quelque chose pour captiver: son talent seul de metteur en scène suffit pour évoquer, provoquer, exciter, émouvoir. On ne parlera pas de la surprise réservée par le film, jaillissement poétique comme on n'en a plus vu depuis les singes d'Oncle Boonmee. Et on imagine que si cette perle n'a pas été sélectionnée à Cannes (nous l'avons vue au Marché du film), c'est pour de bonnes raisons. Mais à la vue de cette splendeur, on avoue ne pas comprendre cette absence...
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