Lettre à Momo
Momo e no tegami
Japon, 2012
De Hiroyuki Okiura
Scénario : Hiroyuki Okiura
Durée : 1h57
Sortie : 25/09/2013
Trois gouttes d’eau tombent du ciel et rebondissent sur l’épaule de Momo qui tient dans sa main une lettre inachevée écrite par son père, océanographe, disparu en mer. Cette lettre, qui commence par « Chère Momo », est restée blanche. Après ce décès, Ikuko, la mère de Momo, décide de quitter Tokyo avec sa fille et de rejoindre son île natale, l’île de Shio, située dans la mer intérieure de Seto. Les deux femmes vont habiter chez l’oncle et la tante d’Ikuko qui se réjouissent de voir arriver un peu de sang neuf sur leur île vieillissante. La maison de famille n’a pas changé depuis des années. Ikuko rayonne de bonheur à l’idée de la retrouver. Pour elle, ce décor est tout simplement merveilleux ; pour Momo, il est propice à l’ennui d’autant qu’elle n’y connaît encore personne. Guidée par sa mère pour faire la connaissance des jeunes de l’île et aussitôt prise sous la protection du gentil Yota, Momo ne parvient cependant pas à intégrer la sympathique bande. Le jour où elle est invitée à sauter dans l’eau du haut d’un pont, elle n’y arrive pas. Elle a la tête ailleurs. Elle aimerait savoir ce que son père a voulu lui écrire avant de disparaître. Elle se souvient de la dernière fois où elle s’est disputée avec lui et se sent coupable. Un jour, elle distingue une ombre aux côtés de sa mère. Puis, dans le grenier de la maison, elle découvre que les figures d’un roman illustré ont disparu et elle entend des bruits suspects. Elle prend peur...
LETTRES D'OR
Cela fait bientôt 15 ans (soit une éternité) qu’on a découvert Hiroyuki Okiura, intronisé espoir de l’animation japonaise avec le fascinant Jin Roh. Quelques mois après la sortie française de Jin Roh, Princesse Mononoke de Hayao Miyazaki déboulait dans les salles et l’animation japonaise, jusqu’alors méprisée en France, a mis d’accord critique et public. Mais pendant qu’on couronnait les rois Miyazaki ou Takahata, qu’on découvrait Satoshi Kon pour le perdre quelques années plus tard, silence radio du côté d’Okiura. Ou plutôt une présence discrète : si Okiura n’a pas réalisé de long métrage avant ce Lettre à Momo, il s’est investi dans l’animation de films marquants tels que Metropolis, Ghost in the Shell 2 ou encore Paprika. Lettre à Momo signe son retour et celui-ci a été minutieux puisque le réalisateur travaille depuis 7 ans sur ce projet « à l’artisanale ».
A la froideur ensorcelante de son uchronie cauchemardesque Jin Roh succède un conte en apparence plus doux et simple. La différence ? Jin Roh a été scénarisé par Mamoru Oshii dont on reconnaît la griffe, tandis que le scénario de Momo a été confectionné par Okiura lui-même. Un film très personnel donc, sur le drame d’une adolescente qui a perdu son père et qui reconstruit sa vie dans la petite ville natale de sa mère. Ne comptez pas sur Lettre à Momo pour donner dans l’épuisante post-ironie ou l’hystérie d’une bonne partie de la production animée américaine. Okiura prend largement son temps, regarde son décor paisible, se penche avec bienveillance sur son héroïne sans une once de pathos. La construction minutieuse de Lettre à Momo force le respect, elle est le signe d’un cinéaste en toute confiance qui sait qu’il n’a pas besoin d’artifices pour toucher au but. Son crescendo est formidable jusqu’à un finale éblouissant, tandis que les scènes de drame orageux sont mises en valeur par le soin apporté aux scènes plus anodines.
Pour parler du deuil, Okiura choisit le fantastique. Au pur réalisme anti-spectaculaire du quotidien de Momo se mêlent les apparitions de yokais qui sont ici utilisés davantage comme des figures burlesques que des créatures merveilleuses. Ces yokais sont juste trois gouttes de pluie tombées du ciel. Il se cache pourtant, derrière l’humilité permanente de ce long métrage hyper attachant, un véritable petit trésor.