tick, tick...BOOM!
États-Unis, 2021
Avec : Andrew Garfield
Durée : 2h01
Sortie : 19/11/2021
À l'approche de ses 30 ans, un jeune compositeur prometteur jongle entre l'amour, l'amitié et l'envie de réussir quelque chose de grandiose avant qu'il ne soit trop tard.
QUE LE SPECTACLE COMMENCE
L'année Miranda continue avec son premier long métrage en tant que réalisateur, curieusement adapté non pas d'une de ses œuvres mais de celle d'un autre, Jonathan Larson, l'auteur-compositeur du célèbre musical Rent, succès de Broadway culte outre-Atlantique mais que l'on ne connaît chez nous que via le film de Chris Columbus de 2009 à la réputation peu flatteuse. Ce n'est toutefois pas un choix complètement fortuit, Miranda avait tenu le rôle principal du spectacle de Larson il y a quelques années et on peut deviner dans le parcours et les aspirations du protagoniste ce qui a pu résonner chez le créateur et interprète de Hamilton. A l'origine, tick, tick...BOOM! n'est même pas une comédie musicale mais un seul en scène, présenté par Larson à l'époque comme un "rock monologue", quelque part entre le stand up et le concert d'un concept album autobiographique, dressant le portrait d'un artiste qui voit les années passer, le cap des 30 ans arriver et l'angoisse de ne pas réussir croître. En portant le spectacle à l'écran, Miranda et le scénariste Steven Levinson ne se contentent pas d'illustrer les chansons mais étendent le récit de manière à englober tout ce qui fait le sel et les obsessions de ce mode de vie, de ce mode de pensée, de la précarité à la création artistique, avec justesse et sincérité.
Pour tous ceux qui ont déjà comparé leur âge à celui auquel leurs modèles ont percé ou qui se sont imaginé l'affiche de l'œuvre qui n'existe encore que dans leur tête ou qui ont jalousé leurs amis avec "de vrais boulots" qui payent, l'identification est impitoyable. Et ce ne sont pas uniquement les scènes où le personnage est cerné dans tout ce qu'il peut avoir de potentiellement tragique ou quand il s'apitoie sur son sort, persuadé que son talent n'est pas reconnu, qui sonnent juste mais également celles où il est montré comme un égoïste, égocentrique, négligeant son entourage et leurs angoisses et problèmes à eux, trop occupé par sa déformation professionnelle à penser à une chanson que lui inspire une dispute en temps réel. Ce sont ces ajouts qui permettent au film de ne pas se limiter à la seule subjectivité de Larson mais à proposer un contrepoint, comme quand une chanson moquant les thérapies de couple se superpose à une dispute réelle et bien moins rigolote.
Il y a quelque chose d'[b]All That Jazz[/b] dans ce film-cerveau biographique sur la création de [i]musicals[/i]. Là où Fosse prévoyait sa propre mort, après une longue carrière épuisante, Larson craint qu'elle ne voit pas le jour à temps mais il y a aussi quelque chose de tragiquement prescient dans son compte à rebours parce qu'il craignait la trentaine mais c'est comme s'il avait su qu'il allait mourir à 35 ans (d'un anévrisme de l'aorte). Il lui faut créer avant qu'il ne soit trop tard. Pour autant, le film ne surligne jamais le drame, ne tombe jamais dans le pathos, et ce malgré la réalité de l'époque qui explose au visage du héros (et lui inspirera son plus grand succès). Au contraire, aidé de sa partition pop, qui transforme la peur de vieillir ou l'étroitesse d'un logement en balade entraînante, le film n'est jamais aussi bon que lorsqu'il embrasse l'énergie du stream of consciousness rock et lyrique de Larson, redoublant d'inventivité pour l'illustrer, alternant entre la représentation scénique et le numéro musical assumé dans un va-et-vient ludique, porté par un Andrew Garfield épatant. Comparé à Hamilton (le sort d'un pays!) ou même D'où l'on vient (le sort d'un quartier!), tick, tick...BOOM! (le sort d'un parolier) n'a pas les mêmes ambitions, dans l'ampleur ou le propos, mais n'en demeure pas moins une réussite dans son témoignage qui respire l'authenticité et la passion.