Zero Dark Thirty

Zero Dark Thirty
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Zero Dark Thirty
États-Unis, 2012
De Kathryn Bigelow
Scénario : Mark Boal
Avec : Jessica Chastain
Photo : Greig Fraser
Musique : Alexandre Desplat
Durée : 2h17
Sortie : 23/01/2013
Note FilmDeCulte : *****-
  • Zero Dark Thirty
  • Zero Dark Thirty
  • Zero Dark Thirty
  • Zero Dark Thirty
  • Zero Dark Thirty
  • Zero Dark Thirty
  • Zero Dark Thirty
  • Zero Dark Thirty

Le récit de la traque d'Oussama ben Laden par une unité des forces spéciales US...

LA TRAQUE

On parle souvent de cinéma viril quand on évoque Kathryn Bigelow. Plus que strictement virils, ses films s'intéressent davantage aux signes de virilité comme un révélateur. Ils sont un symptôme qui parcourt toute sa filmographie. Dès le début de son premier long métrage, The Loveless, la mise en scène fétichise ses motards, la caméra caresse les cuisses du héros, s'attarde sur son cuir et sa moto. Mais The Loveless parle surtout d'un éveil sensuel féminin au contact de ces mecs ultra-sexués. Quelques années plus tard, le générique de Blue Steel ressemble à un décalque du début de The Loveless: avant de voir l'homme (en fait, ici, une femme: Jamie Lee Curtis), la caméra détaille d'abord son costume de flic, son insigne, son flingue. Des apparats virils qui sont au centre de cette série B assez simple où la question du genre (au sens des gender studies) est bousculée. La filmo de Bigelow a pris une autre tournure ces dernières années avec Démineurs. Son cinéma de genre (on parle cette fois de cinéma d'action, de thrillers) infiltre et irrigue désormais son cinéma vérité. Démineurs était de très loin le meilleur film réalisé dans la vague américaine de longs métrages consacrés à l'Irak. Derrière le récit de la guerre et de ses traces, il y a le récit de la violence, des armes, et de l'addiction virile née au combat.

Zero Dark Thirty poursuit le trait mais raconte autre chose. L'addiction viscérale dans Démineurs devenait abstraite et dépassait le cadre de la guerre en Irak. L'obsession de Zero Dark Thirty (la capture de Ben Laden) est un but, elle est plus concrète même si, paradoxalement, celle-ci fascine aussi parce qu'elle devient irréelle. "Vous chassez un fantôme", lance t-on à l'héroïne. Bigelow et son scénariste, Mark Boal, le chassent avec une minutie hypnotique, le tempo fourmi de Zero Dark Thirty pourrait presque être celui d'un Cheval de Turin où les épluchages de patates seraient interrompus inopinément par de fracassantes explosions. Nuance importante: contrairement à des milliers d'autres films "basés sur des faits réels", Zero Dark Thirty s'ouvre par un panneau indiquant que le film est "basé sur des comptes-rendus de faits réels". Un filtre qui compte dans un film qui prétend coller au plus près du réel tout en sachant qu'on ne réalise pas, ici, un reportage. Cette neutralité apparente a semble t-il dérouté, voir la (triste) polémique née de la représentation des tortures. Bigelow serait pro-tortures, simplement parce qu'elle les inclue dans son film ? Parce qu'il n'y a pas de scène où un personnage pointe son doigt sur un tableau blanc où l'on aurait écrit "bien" et "mal" au marqueur ? Si le film justifiait les tortures, comment expliquer la scène du discours d'Obama placée en contrepoint ? Le film montre que la cache de Ben Laden n'a pas été trouvée grâce aux tortures. En quoi la réalisatrice les justifierait-elle ? Mille fois dommage car voici un long métrage qui a la grande qualité de ne pas être didactique, qui laisse de l'espace pour penser, cet espace qui sert parfois à faire dire n'importe quoi dès lors qu'une œuvre se passe de scènes explicatives. On remerciera Bigelow de faire confiance à l'intelligence de son public, et pas seulement sur cette question.

Dans combien d'autres longs métrages aurait-on vu une scène où la jeune femme agent de la CIA devrait se battre et se justifier, en tant que femme, face à des hommes ? Cette problématique est là dans Zero Dark Thirty, mais elle n'est jamais au premier plan. Tout juste au détour d'une réplique ironique (I'm the motherfucker who found this place). Là encore, Bigelow a l'intelligence de ne pas parasiter son récit par cette bienveillance condescendante qu'auraient eu d'autres réalisateurs pour traiter ce personnage dans un monde d'hommes. La réalisatrice ne va jamais sur ce terrain, et c'est ce qui rend unique et moderne le personnage interprété avec conviction et économie par Jessica Chastain. Un profil bas qui sert également le finale. Ce récit de la chasse à Ben Laden était délicat par les sentiments qu'il pouvait nourrir. Kathryn Bigelow gagne sur tous les tableaux en réalisant un énorme morceau de cinéma (de tempo, de tension, de découpage, d'utilisation du son, du silence et de la musique) tout en n'orchestrant pas un spectacle exutoire et bêtement patriotique. Il y a un mariage étrange, mystérieux, entre ce déroulé pragmatique, là encore minutieux, et l'impression de toucher à un secret, aux fantasmes mythiques qu'il renferme. A cet instant, même les mouches ne volent plus.

S'il y a à chercher du côté des gender studies, c'est peut-être plutôt lors de l'épilogue. Il y a un miroir inversé et rigoureux entre la fin de Démineurs et celle de Zero Dark Thirty (qui n'est pas un mystère, mais vous pouvez ne pas lire ce paragraphe avant de voir le film). Dans Démineurs, le soldat armé tel la machine (on revient aux attributs virils) est dans un engin volant. Celui-ci s'ouvre sur le champ de bataille, nouvel horizon du héros masculin. Zero Dark Thirty filme la même scène, mais à l'envers. Un avion s'ouvre, mais on y rentre. Cette-fois, une femme y pénètre. Sa mission est finie, et ce n'est pas une machine: des larmes, finalement, coulent sur ses joues. On ne sait pas ce que Bigelow réalisera après Zero Dark Thirty mais un chapitre passionnant de sa filmographie semble se refermer.

par Nicolas Bardot

Commentaires

Partenaires