Une seconde mère
Que Horas Ela Volta ?
Brésil, 2015
De Anna Muylaert
Scénario : Anna Muylaert
Avec : Regina Casé
Durée : 1h52
Sortie : 24/06/2015
Depuis plusieurs années, Val travaille avec dévouement pour une famille aisée de Sao Paulo, devenant une seconde mère pour le fils. L’irruption de Jessica, sa fille qu’elle n’a pas pu élever, va bouleverser le quotidien tranquille de la maisonnée…
BONNE MÈRE
˝Je suis une nana sensass !˝ s’exclame Val, sourire aux lèvres derrière les barreaux de sa minuscule chambre de bonne. Débordante d’énergie et de générosité (et interprété avec enthousiasme par la superstar locale Regina Casé), Val est effectivement une femme de ménage idéale ainsi qu’une parfaite mère de substitution pour la riche famille qui l’engage. Mais comme dans toutes les meilleures histoires de bonnes, la tension larvée dans la relation employeur/employée ne demande qu’à exploser. Or, surprise : la double bonne idée de la réalisatrice Anna Muyalert est à la fois de déplacer la source de la rébellion en question, et surtout d’enrober l’ensemble dans un épatant mélange de registres qui ne néglige ni le rire ni la douceur. A première vue, les rôles semblent distribués selon un ordre immuable et familier : la bonne (poire) ayant quitté sa région pauvre pour la ville, la famille blanche où la mère règne en marâtre faussement douce, et au milieu, une piscine en forme symbolique de no-go zone réservée aux maitres. Pourtant, Une seconde mère est plus nuancé qu’un simple règlement de compte de classe.
Le retour de Jessica, la fille que Val avait dû laisser derrière elle il y a des années, va à la fois chambouler l’ordre de la maison et faire dévier le film des rails attendus. Avec cette jeune fille têtue, c’est tout un nouveau Brésil qui déboule dans cette maison bien rangée : une nouvelle génération bien décidée à ne pas se plier aux règles injustes de leurs ainés, et exigeant des privilèges jusqu’alors inenvisageables, parfois jusqu’à l’absurde (aller à la fac ou encore… demander à dormir ailleurs qu’à même le carrelage). L’arrivée de cette mini tornade de modernité dans une maison où jusqu’ici il faisait trop beau pour se poser des questions aurait pu être violente et manichéenne mais elle donne au contraire lieu à des scènes surprenantes, à la fois tordantes et touchantes. Val passe son temps à s’excuser et consacre toute son énergie à sauver les apparences et respecter les règles d’un système féodal plutôt que de faire une place à sa fille, et celle-ci prend en retour un malin plaisir à faire comme chez elle de façon gonflée. C’est cette double dynamique d’efforts à la fois nobles et puérils qui offre aux films ses meilleures scènes, où l’humour et l’émotion reposent autant sur les trouvailles du scénario que sur le charisme des interprètes.
Si la mise en scène manque peut-être de radicalité, surtout pour un film où l’architecture joue un rôle si fondamental (on aurait aimé mieux voir São Paulo et ses violents contrastes), Une seconde mère gagne tout de même en relief à mesure que le titre dévoile ses différents sens possibles. Car qui mérite le plus d’être nommé mère dans cette maison de fous où l’on appelle ses géniteurs par leur prénom, où l’on délaisse son propre enfant au profit d’un autre, et où chacun passe son temps à s’excuser d’avoir une famille ? Le titre original du film, qui pourrait se traduire par ˝A quelle heure elle rentre ?˝ !, offre lui aussi une piste de lecture intéressante. Si le retour de la mère est effectivement attendu avec impatience, c’est aussi le grand pas vers un Brésil moderne qui est redouté et anticipé. Une attente à l’image du film : douce-amère mais pleine d’espoir et d’énergie.