Une femme fantastique
Una Mujer Fantástica
Chili, 2017
De Sebastián Lelio
Durée : 1h44
Sortie : 12/07/2017
Marina et Orlando, de vingt ans son aîné, s'aiment loin des regards et se projettent vers l'avenir. Lorsqu'il meurt soudainement, Marina subit l’hostilité des proches d'Orlando : une "sainte famille" qui rejette tout ce qu'elle représente. Marina va se battre, avec la même énergie que celle dépensée depuis toujours pour devenir la femme qu'elle est : une femme forte, courageuse, digne ... une femme fantastique !
UNE FEMME DANS LA TOURMENTE
«Le point de départ, c’est que j’avais le sentiment qu’il n’y avait pas de films avec un personnage comme celui de Gloria » : c’est en ces termes que le Chilien Sebastian Lelio nous avait présenté Gloria, son précédent long métrage – des propos qui s’appliquent parfaitement à son nouveau film. Lelio fait son retour en compétition de la Berlinale avec Une femme fantastique, dont l’héroïne est plutôt du genre à être invisible (ou plutôt invisibilisée), au cinéma comme dans la vie. Marina (jouée avec un mélange subtil de charisme et de délicatesse par Daniela Vega) est pourtant, en quelques scènes, installée dans la vie : celle d’un club pour lequel elle chante, celle de l’homme qui l’aime et avec lequel elle partage un slow mouillé. Lelio et son collaborateur Gonzalo Maza, deux brillants scénaristes, créent en quelques scènes intimité et familiarité. C’est déjà beaucoup pour une protagoniste qui, ailleurs, serait traitée comme un sujet d’étude avant d’être un personnage de cinéma.
C’est là que réside la modernité de Une femme fantastique, qui s’inscrit totalement dans la veine du new new queer cinema. L’identité de Marina n’est plus le sujet – ou plutôt, elle n’est un sujet qu’aux yeux des autres personnages du film. Une femme fantastique ne traite pas de la transition de Marina ou de difficultés à s’assumer – pas directement en tout cas, seulement en répercussion. La violence, ici, est d’abord celle des termes choisis par les autres, de mâle alpha en interlocutrice persuadée d’avoir pour fonction de tendre la main. Cette dernière assure avoir déjà « tout vu » mais prive l’héroïne de parole. Lelio fait l’inverse : le film est sur l’épaule de Marina, ne décolle jamais de son point de vue, et c’est en lui donnant la parole en premier lieu que Une femme fantastique devient politique.
Le film n’élude pas le portrait sociétal : comment une femme comme Marina ne peut être la bienvenue dans la « sainte famille », quelle défiance un tel personnage fait immédiatement naître chez ceux qui ne peuvent évaluer l’humanité d’une personne qu’en fonction de ses papiers d’identité. Mais Lelio sait enrober ces thèmes en un mélodrame bouleversant, avec ce mélange rare de retenue et de tension, de mystère et de mise à nu, d’épure et de sophistication. Le début, superbe, donne le ton. La musique hypnotique de Matthew Herbert, qu’on connait notamment comme collaborateur de Björk, est une autre piste : la voix intérieure d’un personnage en quête de grâce, qui renvoie dans les cordes les voix de ceux qui s’opposent à elle. Marina ne se prépare pas que pour une bataille, mais aussi pour celles à venir. C’est une héroïne fascinante, moderne, que Lelio croque avec bienveillance et une profonde humanité dans cette merveille d’intelligence et de finesse.