Toni Erdmann
Allemagne, 2016
De Maren Ade
Scénario : Maren Ade
Avec : Sandra Hüller
Sortie : 17/08/2016
Quand Ines, femme d’affaire d’une grande société allemande basée à Bucarest, voit son père débarquer sans prévenir, elle ne cache pas son exaspération. Sa vie parfaitement organisée ne souffre pas le moindre désordre mais lorsque son père lui pose la question « es-tu heureuse? », son incapacité à répondre est le début d'un bouleversement profond. Ce père encombrant et dont elle a honte fait tout pour l'aider à retrouver un sens à sa vie en s’inventant un personnage : le facétieux Toni Erdmann…
FARCES ET ATTRAPES
Depuis quand n'avait-on pas vu une salle se gondoler de la sorte (et pour de bonnes raisons) devant un film en compétition à Cannes ? Maren Ade, révélée à la Berlinale avec son formidable Everyone Else, avait d'abord créé une première surprise en étant intégrée à la compétition cannoise. Ce n'est pas une surprise pour ceux qui connaissent son talent, mais plutôt parce qu'elle ne remplit aucune des cases des films généralement privilégiés dans la course à la Palme d'or : une réalisatrice ! D'Allemagne ! Avec une comédie ! Dont l'auteure ne se sent même pas obligée de vous écraser avec son propos ou sa caméra pour que vous sentiez son importance ! La seconde surprise : dès la fin de la projection, Toni Erdmann s'est imposé comme l'un des premiers chéris de cette édition cannoise. A juste titre.
Il y a plus de deux ans, lors d'une conférence tenue à la Berlinale, la cinéaste avait évoqué ce projet, une comédie sur une "relation particulièrement tordue". Ade avait également confié travailler longuement sur ses montages - et à vrai dire Toni Erdmann est indiqué en post-production depuis si longtemps qu'on se demandait si on allait le voir un jour. L'apparente simplicité requiert travail et précision - c'est aussi pour cela que tout a l'air si facile à l'écran sous la caméra naturaliste de Patrick Oth, figure-clef du nouveau cinéma allemand. Toni Edmann raconte comment un père tente de renouer avec sa fille. Son arme ? Le sens de l'humour. Le long métrage s'ouvre sur les facéties de cet espèce d'oncle Joey qui a des airs de clown triste, aux côtés de son vieux chien moisi. C'est l'équilibre périlleux que tient la cinéaste, ce moment où le rire et le malaise se rencontrent alors que le ton est en permanence bienveillant.
"Ce qui m’intriguait c’était donc cette nouvelle entité, à la fois unique et complexe, que forment deux personnes lorsqu’elles entament une relation", nous confiait la réalisatrice lors de notre entretien réalisé en 2011. C'était à propos de Everyone Else, mais ces propos pourraient s'appliquer d'une certaine façon à Toni Erdmann. Everyone Else effectuait la radiographie d'un couple de manière aussi moderne qu'inattendue, et se questionnait sur l'étrangeté de cette relation. L'intimité père / fille semble encore plus innée... et tout aussi bizarre. Toni Erdmann fait le récit de ces deux entités contraires (un vieux papa utopiste et farceur, sa fille working girl et froide comme la banquise) sans jamais tomber dans la caricature. C'est l'exceptionnelle qualité d'écriture de la cinéaste qui fait merveille - la simplicité et le rire n'excluent jamais la profondeur. La bienveillance ne pose pas pour autant de voile pudique sur la violence des rapports. Et il y a quelque chose de précisément humain qu'Ade saisit, simple oui et pourtant indicible.
On l'a dit, au-delà du portrait familial poignant, Toni Erdmann est aussi et surtout une très bonne comédie. Déjà très remarquée dans Requiem et L'Amour et rien d'autre, l'excellente Sandra Hüller, dont le quotidien est d'être mortifiée, joue la décomposition comme personne ("Heureuse ? Le mot est fort"). Face à elle, Peter Simonischek, plus méconnu chez nous, campe le daron zinzin et confère une folie poétique à cet électron libre, ce zébulon qui, à chacune de ses irruptions dans le champ, nous indique que tout peut arriver. Et tout arrive dans cette comédie-fleuve (2h43 !), de séquence musicale dantesque en apparition merveilleuse - on ne vous déflorera rien de tout cela. Au bout du chemin, nul didactisme, nul débordement crémeux ; on a pourtant beaucoup ri et on a été bouleversé à voir vibrer ce greatest love of all...