Le Client
Forushande
Iran, 2016
De Asghar Farhadi
Scénario : Asghar Farhadi
Durée : 2h04
Sortie : 09/11/2016
Contraints de quitter leur appartement du centre de Téhéran en raison d'importants travaux menaçant leur immeuble, Emad et Rana emménagent dans un nouveau logement. Un incident en rapport avec l’ancienne locataire survient et va bouleverser la vie du jeune couple.
TOUS EN SCENE
En une poignée de films et en quelques années seulement, Asghar Farhadi est devenu une sorte de nouvelle superstar du cinéma d'auteur mondial. Des Oscars à l'Ours d'or de la Berlinale, des projets aux castings internationaux et une place désormais acquise dans la compétition cannoise... qu'est-ce qui peut arrêter l'auteur de Une Séparation ? Face à une telle fulgurance, il y a évidemment un piège à dire toutes les réserves que l'on a à propos de son cinéma. Ce n'est pourtant pas du trolling. Pour qui ne partageait pas l'enthousiasme général autour du cinéaste, Le Client ne devrait pas changer grand chose. Farhadi farhadise, pour le meilleur comme pour le pire.
Le meilleur, c'est un scénario réfléchi où le sous-texte politique se mêle à une caution littéraire. Le pire, c'est une écriture dans laquelle tout ceci est justement surligné à l'excès. On a tôt fait de réduire les films venus du proche-orient à des discours politiques ("films-sur-la-société" ou "magnifique-portrait-de-femme") où la moindre phrase anodine devient lourde de sens caché. Certains cinéastes ont la main plus habile que d'autres en la matière. Or, dès ses premières scènes, Le Client sort ses gros sabots avec des symboles (un immeuble qui menace de s’effondrer) et du didactisme (le héros est prof, on est prié de bien l'écouter). "Je vais tout vous expliquer" paraît nous dire Farhadi.
Pourquoi pas. Mais il est dès lors dommage qu'on ne puisse pas se débarrasser de l'impression tenace d'avoir un tour d'avance sur tout ce qui va se jouer ici. Le film débute par une agression (sexuelle? Le traitement est tellement pudique qu'on n'est pas bien sûr) sur la femme du héros, et comme dans bon nombre de rape and revenge, l'agression sur une femme devient un problème d'honneur masculin que seuls les hommes peuvent et doivent régler. Sur ce terrain-là, Baccalauréat de Cristian Mungiu (également présenté en compétition à Cannes) semblait avoir plus conscience de ce paradoxe. Difficile de compatir autant qu'on aimerait avec des personnages (hommes et femmes) qui estiment que tout est de la faute d'une femme qui avait "beaucoup de fréquentations" (joli euphémisme).
Mais la pire maladresse du film, c'est le parallèle appuyé entre ce que vit le couple de héros et la pièce qu'ils jouent chaque soir au théâtre: Mort d'un commis voyageur. D'un réalisme déjà balourd sur les malheurs des pauvres gens, le texte d'Arthur Miller a très mal vieilli. Charlie Kaufman s'en moquait d'ailleurs joyeusement dans Synecdoche New York. Farhadi tient à ce que personne ne passe à côté de ce jeu de miroir, quitte à avoir la main lourde. Cette référence littéraire ringarde n'aide pas Le Client à sortir d'une vision vieillotte du cinéma d'auteur, où tout est lent, digne et signifiant, mais surtout où toutes les idées sont dans le scénario, et presque aucune dans la mise en image. Paradoxe: c'est surtout la mise en scène basique de Farhadi qui donne à son film un air de mauvais théâtre filmé.