The Reunion
Återträffen
Suède, 2014
De Anna Odell
Scénario : Anna Odell
Avec : Anna Odell
Durée : 1h28
La documentariste Anna Odell, apprenant qu’elle n’a pas été invitée à la réunion d’anciens élèves de sa promo, décide d’imaginer ce qui se serait passé si elle s’y était rendu, elle qui a des comptes à régler avec ses anciens camarades.
L’ÉCOLE EST FINIE ?
Anna Odell est-elle folle ? C’est la question que se sont sans doute posée ses anciens camarades de classes au moment où celle-ci les a appelés pour les faire participer à son projet de film. A l’origine de The Reunion, ovni passionnant et glaçant qui va et vient entre documentaire et fiction, se trouve un événement tout ce qu’il y a de plus tangible. Dans « la vraie vie », la réalisatrice a en effet appris, après coup, que les élèves de sa promotion avaient organisé une réunion d’anciens élèves, en omettant (sciemment ou non) de l’inviter. Pourquoi ? La question la taraude, elle qui était dans ses jeunes années l’outsider de sa classe, tantôt solitaire abandonnée, tantôt souffre-douleur harcelée. Elle aurait souhaité non pas leur rendre la monnaie de leur pièce, mais discuter du passé entre adultes pour pouvoir tourner définitivement la page de son traumatisme. Pourquoi, donc ? Le film, en forme de réponse à cette question, n’est pourtant ni un règlement de compte, ni une thérapie publique. Encore moins un documentaire classique sur le harcèlement. C’est un film de cinéma unique, improbable et excitant.
The Reunion commence sur les chapeaux de roues, évoquant à la fois Festen et Carrie. Les retrouvailles virent à la cocotte-minute prête à imploser à notre face, mais cette théâtralité légèrement outrée est un trompe-l’œil. Odell a mieux à offrir qu’un éventuel récit vengeur, elle a quelque chose de plus cinglant à montrer : la vérité. La réalisatrice fait, par la suite, le tour de ses anciens camarades (tortionnaires, amis ou témoins inactifs), les invite chez elle autour d'un café et les interroge, avec calme et équilibre : « quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre comportement de l’époque ? ». Fait-elle ainsi preuve de courage ? De perversion ? D’inconscience ? D’abnégation ? De violence envers elle-même ou envers les autres (elle va presque jusqu’à leur courir après dans la rue)? L’une des meilleures idées du film, c’est précisément que la réalisatrice/protagoniste ne se présente jamais sous un jour artificiellement positif. Pour qui faudrait-il prendre parti ? Quand on lui répond qu’elle méritait ce qui lui arrivait et qu’elle le cherchait bien, un léger doute est laissé à chaque spectateur.
Anna Odell est-elle folle ? C’est également une question que s’était posée la Suède entière lorsque, il y a quelques années, son projet de fin d’étude d’art vidéo avait soulevé une grande controverse (revenant sur sa période de dépression, elle s’est faite passer pour une malade pendant 24h, allant jusqu’à être internée). Ce qui explique en partie la gêne flagrante qu’ont ici certains à recroiser son chemin. Odell y interrogeait déjà les structures de pouvoir et les effets de groupe, tout en se demandant jusqu’où il était possible d’aller au nom de l’art, où pouvait bien se trouver la fameuse frontière entre la reconstitution et la fiction, le vrai et le faux, la licence artistique et la vérité. Avec des interrogations théoriques similaires (quelles parties du film relèvent de la caméra cachée ? Qu’est ce qui, au contraire, est reconstitué ? Qui sont les acteurs et les vrais protagonistes d’époque ?), elle réalise ici un puzzle, un film complètement marteau.
Mais derrière ce mélange stimulant, The Reunion parle surtout de choses réelles et particulièrement violentes. Violence de voir les anciens ados beaufs mis face à leur propre brutalité, violence des dynamiques psychologiques de groupes qui créent instinctivement une hiérarchie destructrice, violence des structures sociales qui font perdurer les sentiments d’exclusion, violence de la violence niée, diminuée, ridiculisée, refoulée… C’est un ouragan qui passe sur nous à chaque discussion d’Anna et compagnie sur son canapé. Un maelstrom à côté duquel la cocotte-minute du début fait figure de gentil sketch. Quand la réalisatrice demande finalement à l’un d’entre eux « Comment tu te sens ? », la réponse fuse : « Ça, ça ne m’intéresse pas ». La terreur du début du film laisse place alors à une grande amertume : l’école est finie, mais l’est-elle jamais vraiment ? Rien dans ces échanges ne vient consoler et réparer. La violence n’a pas disparu, et nul n’en a vraiment guéri. Anna Odell n’est pas folle, c’est probablement la moins folle de tous. Voilà décidément une voix très singulière, qui n’a pas peur de pousser les limites. Une révélation à suivre de très près.
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The Reunion est présenté cette semaine au Festival de La Roche-sur-Yon.