The Matrix Resurrections
The Matrix Resurrections
États-Unis, 2021
De Lana Wachowski
Scénario : Lana Wachowski
Avec : Carrie-Anne Moss, Keanu Reeves
Photo : John Toll
Musique : Tom Tykwer
Durée : 2h28
Sortie : 22/12/2021
MATRIX RESURRECTIONS nous replonge dans deux réalités parallèles – celle de notre quotidien et celle du monde qui s’y dissimule. Pour savoir avec certitude si sa réalité propre est une construction physique ou mentale, et pour véritablement se connaître lui-même, M. Anderson devra de nouveau suivre le lapin blanc. Et si Thomas... Neo... a bien appris quelque chose, c’est qu’une telle décision, quoique illusoire, est la seule manière de s’extraire de la Matrice – ou d’y entrer... Bien entendu, Neo sait déjà ce qui lui reste à faire. Ce qu’il ignore en revanche, c’est que la Matrice est plus puissante, plus sécurisée et plus redoutable que jamais. Comme un air de déjà vu...
LE MONDE DE NEO
A la fois un pur produit de studio et une œuvre visiblement personnelle, parfois dans le même élan, ce quatrième volet inattendu de la saga donne toujours dans déconstruction comme les deux précédentes suites mais s'inscrit aussi clairement dans la lignée du travail des Wachowski de Cloud Atlas et Sense8, plus intéressé par l'émotion des personnages que par les scènes d'action...et cela fait sans doute partie de la déconstruction elle-même. Par conséquent, The Matrix Resurrections est subversif de bout en bout. Après avoir désossé les (mono)mythes qui leur servaient de modèles, Lana Wachowski passe cette fois en revue son propre mythe, sa propre création, pour mieux atteindre les raisons qui nous poussent à aimer la fiction.
Dans un premier temps, la métatextualité se fait des plus frontales, assumée dans une littéralité qui frise la trop grande conscience de soi, amenant le spectateur a être comme une cible de Cobb dans Inception : si on dit à la cible qu'il est en train de rêver, tout risque de s'écrouler. Des personnages assistent à des scènes que l'on a déjà vues, une histoire que l'on connaît, qu'ils connaissent comme nous, spectateurs. Ces personnages sont des spectateurs. A côté, d'autres personnages sont littéralement des auteurs ou des producteurs. En fait, pendant le premier acte, ce film c'est un peu Jurassic World. Mais en réussi. La grosse différence entre les deux films, au-delà du talent du scénariste-réalisateur à la barre, réside toutefois dans son identité : cette fois, Lana Wachowski se charge elle-même de commenter son film culte. Inévitablement, elle se met en scène, et si la dénonciation du cynisme achevé de Warner Bros, prêt à produire un film qui moque ouvertement la démarche d'une telle suite, peut paraître facile et complaisante, pour ne pas dire hypocrite, c'est dans la façon dont Wachowski utilise les spécificités de son univers, le langage de sa trilogie, pour se permettre une dialectique entre sa création et le processus de création lui-même.
Ainsi, plus tard, c'est un personnage, défini comme tel, qui viendra au secours de son créateur et un terme extra-diégétique popularisé comme bullet time intègre le texte même du film avant de voir son concept formel détourné, piraté, exploitant le super-pouvoir du héros contre lui, comme seul le système de Matrix le permet. Ludique et parfois même vertigineux, ce premier acte se fait par conséquent sans cesse stimulant narrativement. Et pourtant très vite, Wachowski semble confirmer une crainte : après 20 ans de cinéma de super-héros que le premier film avait précédé, comment cette suite pouvait-elle proposer un spectacle visuellement aussi inventif et inédit dans l'action que ses prédécesseurs? Il y a toujours une ou deux trouvailles et quelques money shots mais le film semble s'en désintéresser, se contentant principalement de refaire (plus ou moins) les mêmes scènes sans surenchère, suivant son héros trop déprimé pour faire le beau. Tout Matrix Reloaded suivait un Élu qui ne savait pas pourquoi il se battait et ici, cela n'intéresse visiblement plus Neo/Wachowski.
L'autrice a un autre objectif et entreprend de le dérouler dans un deuxième acte qui s'enlise un poil dans l'exposition. Tant qu'on est dans la matrice, le film retrouve plutôt l'intelligence du premier film, illustrant ses concepts à l'écran, mais dans le monde réel, l'écriture retombe un peu dans ses travers verbeux et semblablement fonctionnel. Un ventre mou regrettable mais un passage obligé qui ne fait souligner l'un des propos du film, sur le besoin, que dis-je, l'amour de la fiction. On veut retourner dans la matrice. On aime ce que la fiction permet. Mais encore faut-il pouvoir modeler la fiction à son image et pas selon ce que le système impose. Ainsi, c'est inéluctablement dans la matrice que se dénoue le récit mais surtout qu'il s'incarne. Une autre expression à laquelle le film original a donné naissance, c'est le "syndrome Trinity" désignant un personnage féminin fort qui s'efface au profit d'un homme souvent ordinaire, voire à moitié incompétent. L'argument en l'occurrence est que dans Matrix, on découvre Trinity, ultra-compétente, mais dès que Neo apparaît dans l'histoire, il est désigné Élu et Trinity devient un sidekick amoureux.
Ce quatrième film permet de répondre à cette critique en subvertissant une fois de plus les rôles attendus et le mythe de l’Élu en réorientant le discours vers quelque chose de cohérent avec les dernières œuvres des Wachowski, sur la force des liens qui nous unissent et notamment celui de l'amour, "génèse de tout" selon la dédicace du générique de fin de la réalisatrice à ses parents disparus. C'est d'ailleurs ce qui rend le morceau de bravoure final aussi fort. Non seulement bénéficie-t-il de l'idée la plus kiffante mais surtout elle est porteuse de sens, montrant comment un amour voulu comme impossible par le système est en proie à la meute que ce dernier créé. Après avoir mis en scène la théorie de l'éternel retour comme des symptômes de la dépression ou de l'auto-cannibalisme hollywoodien, The Matrix Resurrections se sert de cette deuxième chance pour corriger ses erreurs et surtout faire une déclaration d'amour.