The Look of Silence
Danemark, 2014
De Joshua Oppenheimer
Durée : 1h30
Sortie : 30/09/2015
Adi Rukun est ophtalmo itinérant. Au gré de ses visites, il enquête sur les circonstances de la mort de son frère aîné, accusé de « communisme » et assassiné pendant les grands massacres de 1965 et 1966 en Indonésie.
LA VOIX DES MORTS
En 1985, malgré une durée alors titanesque (9h30), Claude Lanzmann n’avait pas souhaité faire rentrer dans son documentaire Shoah l’histoire pourtant passionnante de la révolte du camp De Sobibor. Celle-ci méritait son propre film, que Lanzmann réalisa d’ailleurs quinze ans plus tard. Le cas est similaire aujourd’hui pour Joshua Oppenheimer. Deux ans après The Act of Killing, son ahurissant film sur le génocide impuni en Indonésie, le documentariste propose un retour sur un pan particulier de cette histoire. Dans The Act of Killing, la parole était laissée, sans aucune censure, à ces criminels de guerre, fiers et satisfaits de leurs actes. Leur liberté de ton rigolarde dévoilait une absence de culpabilité proche de la folie. Avec The Look of Silence, Oppenheimer leur propose cette fois d’écouter.
D’écouter qui ? Dans un pays où les tueurs sont encore tous au gouvernement, et où il n’existe pas de contre-pouvoir, dans de villages où l’on habite parfois la porte à côté de son ancien tortionnaire, nul ne souhaite s’exprimer parmi les survivants. « Il ne s’est rien passé. Je ne suis au courant de rien », balbutie une veuve, l’œil fuyant et inquiet. C’est un homme, anonyme et pourtant omniprésent à l’image, qui va poser les questions. Son frère, accusé à tort de rébellion, avait été torturé puis tué par les militaires, et la personne qu’il rencontre aujourd’hui, sous l’œil d’Oppenheimer, est le responsable direct de ces actes. Sans aucun commentaire en voix-off ou images d’archive sur lesquels s’appuyer, The Look of Silence se base sur la pure force de cette confrontation infernale.
Qu’est ce qui glace le plus le sang dans ce film ? Le détail des tortures (les militaires se faisaient un plaisir de boire le sang chaud de leur victime) ? Le ton à nouveau débonnaire des bourreaux, en mode « ah qu’est-ce qu’on a pu se poiler dans cette affaire » ? L’absence de dialogue possible entre des survivants frappés de terreur et des tueurs intimement persuadés d’avoir œuvré pour le bien ? Le stoïcisme du protagoniste, même lorsque on lui déclare sans rire « j’ai tué ton frère, donc maintenant nous sommes un peu de la même famille » ? Moins ambitieux et délirant sans doute que The Act of Killing (qui offrait également une réflexion sur le pouvoir de la fiction), The Look of Silence n’est pourtant pas qu’un bonus complémentaire. Il n’est d’ailleurs pas indispensable d’avoir vu l’un pour apprécier l’autre. D’une variété de registres et d’un esthétisme qui rappellent parfois les excellents documentaires de Rithy Panh, The Look of Silence est un film prenant et passionnant.
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Notre entretien avec Joshua Oppenheimer, réalisé à l'occasion de The Act of Killing