Le Garçon et la Bête
Bakemono no Ko
Japon, 2015
De Mamoru Hosoda
Durée : 1h58
Sortie : 13/01/2016
L'histoire se déroule dans le quartier de Shibuya à Tokyo et dans le royaume des monstres. Dans ces deux mondes qui ne doivent pas se croiser, vit respectivement un jeune garçon solitaire séparé de ses parents et un monstre. Un jour, le jeune garçon se retrouve perdu dans le monde des monstres et devient le disciple de la créature Kumatetsu et donne un nouveau nom au jeune garçon : Kyūta...
BÊTES HUMAINES
Un jeune garçon qui va grandir à travers l'apprentissage du combat. Un élu appelé dans un monde parallèle. Un orphelin qui se trouve un père de substitution. Ces figures archétypales vues et revues suffisent-elles à sortir ici le carton jaune? Pas du tout, car la finesse d'écriture de Mamoru Hosoda fait du Garçon et la bête un antidote aux clichés du film d'apprentissage telles qu'elles sont répétées par Hollywood jusqu'à la parodie. Tout en faisant mine de s'y plier, le film détourne les sempiternels schémas de l’apprentissage viril. D'une part car il n'est jamais question d'éloge de la masculinité. L'identité à construire et apprivoiser n'est pas celle d'un homme (qui exclurait le féminin) mais celle d'un humain au sens large. Ainsi, l'intrigue parallèle mettant en scène un personnage féminin ne devient pas une histoire de désir, et si celle-ci participe à l'apprentissage du héros, c'est par le biais de l'étude et de l'intellect plus que de l'amour. Ça n'a l'air de rien, cela peut passer inaperçu, mais voir un film destiné à des publics de tous âges s'affranchir du passage obligé de la validation de l'hétérosexualité est rafraîchissante.
Ce n'est pas tout. Contrairement à d'autres clichés tenaces, il n'est pas ici question d'un système binaire simpliste de gentils contre des méchants. Comme cela est régulièrement le cas dans une certaine partie de l'animation japonaise, chaque personnage est tantôt odieux, tantôt attachant. Et cela n'est pas seulement une façon habile d’éviter tout manichéisme, c'est le propos même du Garçon et la bête. A l’heure où nos médias regorgent d'indignation indécentes sur les autres qui nous auraient envahis, Hosoda utilise une métaphore à l'actualité ironique et douloureuse pour nous rappeler que la bête est potentiellement en chacun de nous. Le garçon est la bête.
La variation homme/bête, déjà présente dans le mignon Les Enfants loups, prend ici les traits d'une légende atemporelle, ouvrant la porte à une dimension symbolique riche, mais surtout à un sens du merveilleux qui offre au film des séquences visuelles à tomber à la renverse. Et ce, du générique de début où chaque personnage n'est représenté que par une silhouette de flamme dansante, jusqu'au final où l'affrontement humain/demi-dieu joue de façon dantesque sur la confrontation des échelles. Le hiatus annoncé par le studio Ghibli avait engendré une interrogation quant à l'avenir de l'animation japonaise, mais attention à ne pas faire de Miyazaki l'arbre qui cache la forêt. Hosoda est l'un des rares autres réalisateurs du genre dont les films marchent en salles chez nous : continuons de le célébrer ; avec lui, l'animation est entre de bonnes mains.