The Bikeriders
États-Unis, 2024
De Jeff Nichols
Scénario : Jeff Nichols
Avec : Jodie Comer, Tom Hardy, Michael Shannon
Photo : Adam Stone
Musique : David Wingo
Durée : 1h56
Sortie : 19/06/2024
Dans un bar de la ville, Kathy, jeune femme au tempérament bien trempé, croise Benny, qui vient d’intégrer la bande de motards des Vandals, et tombe aussitôt sous son charme. À l’image du pays tout entier, le gang, dirigé par l’énigmatique Johnny, évolue peu à peu... Alors que les motards accueillaient tous ceux qui avaient du mal à trouver leur place dans la société, les Vandals deviennent une bande de voyous sans vergogne.
AND THIS BIRD YOU CANNOT CHANGE
À l'origine de ce premier film en sept ans de Jeff Nichols, il y a l'ouvrage du photographe Danny Lyon qui a fréquenté et interviewé les membres du Chicago Outlaws Motorcycle Club de 1963 à 1967 mais bien que le cinéaste, visiblement fasciné par ce livre, ait nourri le projet d'une adaptation depuis des lustres, il ne choisit pas Lyon comme protagoniste. Il y a bien un alter ego du journaliste dans le film, campé par Mike Faist (West Side Story, Challengers), mais il est surtout là pour recueillir le témoignage de Kathy, qui n'est pas une membre du club mais l'épouse de l'un d'eux. Ce choix de point de vue à lui seul détourne The Bikeriders du chemin qui lui semblait tout tracé.
En effet, si l'ouverture semble citer ouvertement Les Affranchis, avec son arrêt sur image et sa voix off ad hoc, le film s'en affranchira peu à peu pour livrer un portrait globalement défait de tout glamour sur une communauté condamnée à devenir l'antithèse de ce qu'elle incarnait. Jouant adroitement avec les codes de différents genres, Nichols nous séduit dans un premier temps, en passant du film de gangsters à une imagerie rappelant le merveilleux nocturne adopté par son propre Midnight Special, mais le charme opéré tant par le charisme angélique d'Austin Butler que l'iconographie des motards comme symboles de la liberté à la Easy Rider cède lentement la place à ce que ce personnage féminin avait instinctivement cerné d'emblée comme un monde à fuir.
À l'inverse d'un Scorsese dont les films présentent une certaine ambivalence vis-à-vis des criminels, à la fois punis in fine mais sujets à l'empathie et à l'identification dans la jouissance de leur mode de vie, Nichols ne paraît jamais enamouré par l'univers de ses protagonistes. C'est résolument le film de quelqu'un qui regarde tout ça de l'extérieur, sur qui cela exerce une sidération certaine et qui voit bien pourquoi des laissés-pour-compte s'y retrouvent, mais pour qui tout cela reste tout de même un peu élusif. Rien ne l'incarne mieux que la caractérisation du personnage de Butler, qui ne dit presque rien, qui semble rester en dehors de tout débat, à la marge, même de son ménage, pas vraiment un protagoniste dans le sens pur du terme. Ce n'est pas un archétype ou une idée que Nichols réduit à une icône, c'est un personnage qui existe mais qui demeure évanescent, insondable. Et l'acteur parvient à l'habiter à merveille. En fin de compte, il est sans doute celui qui symbolise le mieux cet idéal de liberté, la notion dans ce qu'elle a de plus pur, là où les autres membres finissent par dévier de trajectoire.
Plus le club prend de l'importance, plus il devient régi par des codes, des règles, offrant une réflexion en douce sur le sectarisme et le communautarisme autant que sur la corruption des idéologies, une intrigue portée par un Tom Hardy qu'il est réjouissant de revoir enfin parfait dans un excellent rôle. Mais tout le monde est bon ici. Et la meilleure n'est autre que Jodie Comer, exceptionnelle en vrai point d'ancrage de ce film vraiment habile dans l'écriture sur la question du point de vue, celui d'une femme sur un monde d'hommes, et donc forcément dans la mise en scène au regard doux mais juste.