Spider-Man : New Generation
Spider-Man : Into the Spider-verse
États-Unis, 2018
De Bob Persichetti, Peter Ramsey, Rodney Rothman
Scénario : Phil Lord, Rodney Rothman
Avec : Nicolas Cage, Shameik Moore, Liev Schreiber
Musique : Daniel Pemberton
Durée : 1h50
Sortie : 12/12/2018
SPIDER-MAN : NEW GENERATION présente Miles Morales, un adolescent vivant à Brooklyn, et révèle les possibilités illimitées du Spider-Verse, un univers où plus d’un peut porter le masque…
TOILE MÉTISSÉE
Même si l'on met de côté les séries télévisées américaines (dont certains épisodes sont sortis en salles hors des States) et japonaises (qui a eu un spin-off ciné) des années 70, le personnage est déjà apparu dans huit films en l'espace de seize ans. Soit un film tous les deux ans en moyenne. Depuis 2016, il n'y a pas eu une année sans Spider-Man dans un film. En 2018 et en 2019, il y aura même eu deux films par année avec le personnage donc 11 films en 17 ans. Toutefois, il semble toujours y avoir eu une raison derrière chaque reboot. Sam Raimi & Tobey Maguire ne voulaient pas rempiler et Sony ne voulaient pas perdre les droits et on a donc eu les films de Marc Webb. Ceux-ci sont ratés alors que les Marvel cartonnent? On a donc les films de Kevin Feige. Mais cette fois? Pourquoi un énième Spider-Man? L'animation est-elle une excuse valable? Phil Lord & Chris Miller se sont spécialisés dans les fausses bonnes idées devenus de vrais bons films : une adaptation de 21 Jump Street, un film Lego, une préquelle sur Han Sol...oops. Miller n'est plus crédité qu'à la prod et Lord signe l'histoire seul et le script avec Rodney Rothman (22 Jump Street) qui co-réalise également le film avec notamment Peter Ramsey (qui ramène l'énergie épique de l'excellent Les Cinq légendes) et Bob Persichetti (ancien artiste Disney et Dreamworks). Mais le film porte clairement la patte du duo. On est dans la directe lignée de The Lego Movie. Objet pop art et post-moderne, transdimensions et transgenres, Spider-Man : Into the Spider-Verse sonne comme une profession de foi en éloge à la diversité en plus d'être un film de super-héros drôle et rythmé comme jamais.
Dès le logo Columbia, le ton est donné. La dame à la torche bugue et laisse apercevoir comme plusieurs versions dont une animée. Et les premiers plans annoncent la couleur, avec leurs points Benday omniprésents qui transforment le film en œuvre réminiscente du travail de Roy Lichtenstein, et cette animation hybride qui donne du relief à des traits singeant le dessin de l'animation traditionnelle ou plus exactement de la bande-dessinée. La porte interdimensionnelle au cœur de l'intrigue n'est pas encore ouverte que la forme, elle, joue déjà entre les dimensions. Le parti-pris est casse-gueule. Il y a des éléments en arrière-plan qui sont parfois légèrement dédoublés, comme quand on regarde un film en 3D sans lunettes, mais la proposition est radicale et unique. C'est pas le procédé Deep Canvas vertigineux de Tarzan, c'est pas le mélange hétérogène de CGI et d'animation 2D de Titan A.E., c'est autre chose. The Lego Movie utilisait déjà l'animation en images de synthèse (photoréaliste) pour imiter l'animation stop-motion et ici, elle imite le comic book en lui apportant une dimension supplémentaire. Et au milieu peut débouler un personnage dessiné comme dans un manga ou semblablement animé par Chuck Jones.
C'est en ça que le film exploite ce que seul le médium de l'animation peut permettre pour raconter son histoire...et son Histoire, en recontextualisant et justifiant les notions de suites et de reboots. C'est un film qui reconnaît les incarnations passées du personnage, jusqu'à inclure des scènes réinterprétées de la trilogie de Sam Raimi. Les Marc Webb et les Marvel ne sont pas directement cités (cheh!) mais le concept du film permet justement la cohabitation de toutes les versions. À chacun son Spider-Man. Comme d'habitude chez Lord & Miller, le méta est là pour servir le propos. En s'inspirant d'un arc de la BD pour inclure plusieurs Peter Parker mais aussi Miles Morales ou Peni Parker ou Peter Porker, le scénario trouve non seulement une source de gags hilarants mais également matière à profiter de la familiarité que le public a désormais du genre (et du personnage aux origines maintes fois ressassées) pour non seulement s'en amuser mais surtout proposer une réflexivité vis-à-vis du genre, du médium mais également sur la question de la représentation.
Même l'idée la plus tordue - et pourtant pas une idée qu'ils ont inventé vu que Spider-Ham (sic) existe depuis les années 80 - a du sens. Dans le cadre de l'histoire que raconte le film, son inclusion ne se limite pas à un gag (déjà génial) mais sert le propos : tout le monde peut être Spider-Man. Un métisse, une fille, un cochon de dessin-animé...c'est ça qui est génial. En poussant les curseurs de la démonstration, le récit exacerbe le message. Tout est possible. Et en fin de compte, ce n'est pas juste le Spider-Verse qui permet cela, c'est notre monde. Rien ne nous empêche d'avoir un Spider-Man noir et hispanique. Ce n'est pas un hasard si les méchants sont complètement secondaires dans le film. La lutte est interne. Ce protagoniste qui se définit initialement en réaction à la maxime énoncée par l'Oncle Ben, incluant sa silhouette dans un tag "No Expectations" qu'il dessine avec son oncle à lui, et ne se croit pas capable d'endosser le costume et à qui on dit de rester sur la touche, va choisir d'assumer le rôle de super-héros...parce qu'il le peut, putain. Parce qu'il ne faut pas se dire ou se laisser dire ce qu'on peut ou ne peut pas faire. Tu peux refaire un énième Spider-Man. Tu peux avoir plein de styles d'animations différents dans un même film. Tu peux avoir un Spider-Man '30s en N&B avec imper et chapeau mou qui parle avec la voix de Nicolas Cage. Tu peux faire ce que tu veux.