Soy Nero
Mexique, 2016
De Rafi Pitts
Scénario : Rafi Pitts
Durée : 2h00
Sortie : 21/09/2016
Nero, un jeune mexicain, s'aventure illégalement aux États-Unis. Sa seule chance d'obtenir la Green Card est d'intégrer l'armée américaine...
LE PRISONNIER DU DESERT
D'origine iranienne et vivant depuis des années entre la France et le Royaume-Uni, Rafi Pitts semble plutôt bien placé pour évoquer le sort du jeune héros déraciné de Soy Nero. Le film s'ouvre avec une certaine ironie morbide par l'enterrement d'un soldat latino pour qui le gouvernement exprime sa gratitude. Si l'on a déjà vu pas mal de films sur la frontière entre États-Unis et Mexique et sur les malheureux qui tentent de la franchir, Soy Nero s'attache à un sujet moins exploré : la Green Card promise à ceux qui accepteront de servir de chair à canon dans l'armée américaine.
Nero court après ce Graal avec une volonté de fer, et court sous les feux d'artifice lors d'un plan superbe auquel une autre scène de course sous des feux d'une tout autre nature fait un écho évident. L'écriture de Rafi Pitts, associé pour l'occasion au Roumain Razvan Radulescu (l'un des scénaristes-clefs de la nouvelle vague roumaine), établit de nombreux parallèles et paradoxes absurdes, à commencer par l'histoire de ce jeune immigré rejeté par une nation de migrants. A l'heure des discours politiques les plus extrémistes envers (entre autres) la population mexicaine dans l'actuelle course à l'investiture de la Maison Blanche, Soy Nero donne à voir la méfiance dont est naturellement victime le jeune héros simplement parce qu'il est Mexicain. Et peu importe si quelqu'un l'attend vraiment dans une villa cossue de Beverly Hills.
Cet épisode du récit picaresque est un des plus réussis : Nero rejoint son frère Jesus dans une villa de star. La découverte de ce zoo rococo rappelle l'émerveillement des jeunes inconscients dans The Bling Ring. Mais l'enjeu est différent ici, comme le rappelle un plan furtif dans lequel la ville et sa réalité s'invitent au loin à travers la fenêtre, tout comme le son de la rue. Ces mondes sont distincts et pourtant poreux. Le frère maître de la villa un jour n'est plus que domestique le lendemain. Pitts décrit des situations fragiles et absurdes dans lesquelles un jeune homme comme Nero, malgré ses efforts, ne peut pas avoir son destin en main. Le post-ado traqué à la frontière américaine peut bien finir par contrôler une frontière si le système a besoin de l'exploiter. On reconnaît la patte de Radulescu dans cette façon de dégraisser le film de toute trace psychologisante et de mélodrame crémeux, quitte à priver le film de plus d'émotion. A l'image d'une ellipse brutale et gonflée au bout de deux tiers de film, Soy Nero regarde froidement la réalité en face même lorsque celle-ci est d'un cynisme glaçant.