Prevenge
Ruth est enceinte de sept mois et, comme de nombreuses futures mères pendant leur grossesse, elle croit pouvoir entendre la voix de son bébé qui s’adresse à elle. À la différence près que sa progéniture à elle l’encourage sur la voie de la folie meurtrière. Portant encore le deuil de son mari disparu quelques mois plus tôt, Ruth accepte d’être formée aux techniques létales par son bambin. Elle se lance alors dans une virée sanglante afin d’éliminer toute personne amenée à la côtoyer, du propriétaire d’une animalerie au DJ d’un club, en passant par une femme d’affaires solitaire. En plein carnage, le ventre arrondi de Ruth lui sert de parfait alibi : après tout, qui pourrait suspecter d’être une meurtrière sans pitié une femme enceinte au si doux visage ?
MAMAN, C'EST UN ENCHANTEMENT
Prevenge est le premier long métrage de la Britannique Alice Lowe, qu'on a déjà croisée à l'écran chez Edgar Wright ou Ben Wheatley. Lowe avait d'ailleurs écrit pour ce dernier le scénario de Touristes. Et même s'ils semblent appartenir au même registre de comédie sanglante, même s'ils partagent des thèmes communs (comme la pression sociétale autour des couples ou mères qui se doivent d'être parfaits), Prevenge va plus loin que Touristes, à la fois dans l'absurdité et la noirceur. Il y a ce pitch, évidemment merveilleux : une future mère commet des crimes commandés par le bébé qu'elle porte (il fallait oser ajouter sa petite voix grotesque – c'est un des meilleurs choix du film). Là où Touristes est un strict spectacle potache, il y a dans Prevenge un cynisme un peu plus glaçant incarné à la perfection par Alice Lowe elle-même, avec ce visage mortifié-décomposé et indéchiffrable qui lui donne cette ambiguïté : c'est un clown, et c'est une psychopathe en même temps.
Tourné en 11 jours pour un mini-budget, Prevenge est un projet modeste mais ça ne l'empêche pas d'être soigné, en témoigne cette lumière douce qui voile joliment les pires horreurs. Lowe choisit également, dans ces conditions, d'aller droit au but : son épure, sa concision, son économie psychologique constituent un atout. La structure répétitive fait que le film manque certes d'un peu plus de relief. Mais ce bébé grognon qui pousse à se venger des lovers losers, garces glacées ou de pauvres innocents a quelque chose de très réjouissant, une forme de folie punk qui contamine le film pourtant calme en apparence. Mais les mauvaises pensées grouillent dans la tête de l'héroïne, comme des créatures dégoûtantes gigotent dans un vivarium. Lowe a créé une héroïne atypique, glorieusement monstrueuse, à l'image du costume de femme à la bouche fendue qu'elle endosse pour Halloween – fantôme japonais propulsé dans des rues britanniques qu'elle hante d'un éclat de rire et d'un éclat de sang.