Phénomènes
The Happening
États-Unis, 2008
De M. Night Shyamalan
Scénario : M. Night Shyamalan
Avec : Zooey Deschanel, John Leguizamo, M. Night Shyamalan, Ashlyn Sanchez, Mark Wahlberg
Photo : Tak Fujimoto
Musique : James Newton Howard
Durée : 1h31
Sortie : 11/06/2008
Surgi de nulle part, le phénomène frappe sans discernement. Il n'y a aucun signe avant-coureur. En quelques minutes, des dizaines, des centaines de gens meurent dans des circonstances étranges, terrifiantes, totalement incompréhensibles. Qu'est-ce qui provoque ce bouleversement radical et soudain du comportement humain ? Est-ce une nouvelle forme d'attaque terroriste, une expérience qui a mal tourné, une arme toxique diabolique, un virus qui a échappé à tout contrôle ? Et comment cette menace se propage-t-elle ? Par l'air, par l'eau, ou autrement ?
LA MENACE FANTÔME
Contrairement à sa décriée Jeune Fille de l’eau, qui prenait le temps de tourner les pages de son histoire à dormir debout, comptant ferme sur le saut de foi et l’implication de sa petite communauté dans un récit à l’issue proprement merveilleuse, Phénomènes s’aventure dès les premiers instants sur la scène de l’intangible. Comme toujours chez Shyamalan, l’essentiel est invisible à l’œil nu, l'une des clefs du fantastique chez le jeune réalisateur. Fantômes insaisissables et qu’on ne peut distinguer, foi égarée quelque part en soi, aveugle perdue mais pourtant éclairée dans un monde d’illusions, le fantastique est question de réconciliation, de combat contre la peur et contre soi-même, improbable face-à-face qui trouvait une bouleversante apothéose dans la fin en pleurs de ladite Jeune Fille. Dans Phénomènes encore plus qu’ailleurs, la menace est imperceptible, légère comme un souffle mais implacable pourtant – on peut bien accumuler les scènes chocs à l’écran, pendus flottants aux arbres, suicidaires marchant dans le vide, on peut bien s’enfermer à double tour dans une voiture lancée à tombeaux ouverts, le danger n’est parfois qu’une fente dans une toile, un rai de lumière qui ébranle les certitudes d’un monde qui a oublié le surnaturel. Ou qui a préféré l’oublier. Le prof de SVT, figure classique du scientifique repoussé dans le retranchement de ses convictions, l’évoque dès le début avec ses élèves : la solution rationnelle existe, mais c’est aussi la seule sécurité qu’on a. En découle la lutte absurde qui sous-tend souvent les longs métrages du cinéaste, équilibrisme grotesque qui forçait hier une famille à se faire des chapeaux en alu pour faire fuir le démon dans Signes, courses dans le vide aujourd’hui ou les foules se débinent à travers champs pour échapper à une brise ou une brindille.
HOME SWEET HOME
Le Village apportait une réponse ambiguë à une angoisse urbaine, reconstruction d’un idéal, communauté pure et originelle des Pilgrim Fathers, pourtant fondée sur le mensonge, la manipulation et le fanatisme qui va même jusqu’à laisser mourir les siens. Face à la réalité qui effraie, quartiers gagnés par la violence dans Le Village, ou face à la menace supposée terroriste ou toxique dans Phénomènes, la solution des populations reste le retranchement, l’individualisme, une fuite du monde tel qu’il est. Cette volonté de repli sur soi est reprise ici, mais le constat est tout aussi cinglant. On évoque l’idée de s’isoler de tout, de quitter la terrifiante métropole… lorsqu’on arrive dans une maison témoin où tout n’est que toc. On trouve un havre de paix dans une bâtisse d’un autre âge, celle dont rêvent les habitants du Village, rassurante, comme si celle-ci n’avait pas encore été salie par un monde perverti où même les plantes veulent leur revanche. Las, le paradis est la bicoque d’une folle, comme échappée de L’Exorciste dit-on, et l’enfermement salvateur n’est qu’une chimère, enfer de l’ignorance pavé de bonnes intentions. Dans les deux films, et ce n’est pas un hasard, Shyamalan utilise un décor archétypal, enraciné dans les fondations du pays et de ses souvenirs indistincts : village d’une communauté nouvelle qui a fui l’Europe et ses spectres, cabane d’esclaves en refuge de la répression, et où l’on n’est plus relié au monde que par un tuyau (ou isolé par une simple cloison). Dans un cas comme dans l’autre, le salut est au-delà des murs, face aux bois malveillants et peut-être un peu dans les cœurs forcés de se retrouver.
LE GRAND PARDON
Qu’on ne s’y méprenne pas : si Phénomènes a tout des thèmes du cinéaste et de son style, il marche un peu comme une réaction à La Jeune Fille de l’eau ou aux critiques qui ont pu jouer au paintball avec lui le long de sa filmographie, ceux qu’il a offerts au loup dans son précédent film mais qui sont toujours bien vivants. Phénomènes est plus modeste, plus simple (simpliste ?), parfois même plus maladroit. Car c’est un spectacle un rien désuet qui est ici offert, hommage au B d’antan jusque dans son épilogue tarte à la crème, pas ce que le film fait de mieux mais qui l’installe dans sa volonté ludique, plus légère, avec un humour plus présent et un Wahlberg qui finit par parler aux plantes (en plastique), où le couple central est mû par des rouages plus dépouillés, ces adultes encore un peu enfants qui n’ont pas le souffle tragique des amoureux du Village. Mais la modestie n’empêche pas l’élégance, les larmes filmées au loin lorsque la fillette tombe dans les bras de son père de substitution, l’humilité n’empêche pas de vrais moments de cinéma, des pluies de morts du début à la maisonnette transpercée d’air plus tard. Bousculé ou célébré, M. Night Shyamalan taille sa route avec égale souveraineté, genre porté aux nues ou B soigné avec la plus grande considération (un peu à la façon, plus tôt dans l’année, de The Mist de Frank Darabont), et de là à dire qu’il est vraiment phénoménal…