Pays barbare

Pays barbare
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Pays barbare
France, 2013
De Yervant Gianikian, Angela Ricci Lucchi
Scénario : Yervant Gianikian, Angela Ricci Lucchi
Durée : 1h05
Note FilmDeCulte : *****-
  • Pays barbare
  • Pays barbare

«Nous nous penchons sur des matériaux filmiques sur l’Éthiopie coloniale italienne (Abyssinie), récemment découverts dans des archives de particuliers. Nous étudions à la loupe les photogrammes sur la colonisation, et transcrivons leurs légendes. Ces matériaux devaient être visionnés à la maison, en silence. Dans ces fragments de films, on remarque, en les regardant sans projecteur, les traces de ceux qui les ont possédés, les moments du film qu’ils ont le plus vus. Notre double lecture passe par les images et par la façon dont elles étaient vécues. Une Éthiopienne à genou, le sein à l’air, un soldat barbu qui lui lave symboliquement les cheveux; des termes récurrents (barbare, primitif, pillard, bigamie) reviennent dans les légendes. Nous avons trouvé aussi beaucoup de séquences militaires illustrant la violence des Italiens lors de la conquête de l’Éthiopie et la phrase suivante: «Pour ce pays primitif et barbare, l’heure de la civilisation a sonné.» Voilà des fragments de l’image de Mussolini en Afrique: il fallait communiquer avec les masses à travers les caractéristiques physiques de sa personne, qui doit apparaître comme une icône unique et incomparable.»

LES INVASIONS BARBARES

« Le passé pour nous n'existe pas. Nous sommes toujours au présent, et ces images aussi ». C’est ce que déclaraient les cinéastes Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi dans un entretien accordé à Libération en 2006. C’est une affirmation qui s’applique tout à fait à leur nouveau film, Pays barbare, présenté en compétition au Festival de Locarno. Celui-ci s’inscrit logiquement dans le travail accompli par Gianikian et Ricci Lucchi depuis des années : un montage d’images d’archives exhumées où le passé presque effacé (les méfaits de l’Italie fasciste de Mussolini) est pourtant intimement lié au présent. On pressent dit-on le retour du fascisme en regardant ces images de colonisation où les conquêtes brutales sont déguisées en découvertes.

Il y a un mystère à observer les plans ressuscités de Pays barbare. Cette pellicule rose rappelle l’œuvre du vidéaste irlandais Richard Mosse qui, à la Biennale de Venise 2013, présentait The Enclave, une plongée aux couleurs psychédéliques et insensées dans une Afrique éventrée. Tout dans Pays barbare pourrait installer une distance : les couleurs, l’image abimée, le passé. Mais Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi s’acharnent, passent les plans au ralenti, s’arrêtent sur des photographies. Comme s’il y avait un temps à rattraper sur ces massacres non documentés. Sur Mussolini, les cinéastes citent Calvino : « Après avoir été à l’origine de tellement de massacres sans images, voici les images de son massacre ». La haine ethnique et la religion sont ici utilisées comme des armes mortelles. Seulement dans le passé lointain de vidéos oubliées ? Gianikian et Ricci Lucchi ne sont pas dupes. Pays barbare s’achève sur des images de fantômes, des silhouettes en négatifs, abstraites, et ces fantômes-là n’arrêtent pas de danser.

par Nicolas Bardot

Commentaires

Partenaires