Cannes 2015: Office
Kim Byung-guk, employé d’une grande entreprise, décime sa famille et disparaît sans laisser de trace. L’inspecteur Jong-hun interroge les collègues de travail de Kim mais ceux-ci restent évasifs, en particulier Mirae, une stagiaire qui semble cacher quelque chose. L’inspecteur découvre que les caméras de surveillance ont filmé Kim Byung-guk revenir au bureau juste après le massacre… mais jamais en ressortir. Où le tueur se cache-t-il ? Alors qu’une véritable psychose s’abat sur les employés, le bureau est le théâtre d’évènements mystérieux...
LES BUREAUX DE SATAN
Hong Won-Chan s'était déjà distingué comme l'habile co-scénariste de The Chaser et The Murderer, deux limousines de thrillers coréens réalisés par Na Hong-Jin. Il fait également partie des scénaristes du moins connu (DTV chez nous mais non moins réussi) Confession of Murder. On attendait donc sa première réalisation avec une impatience réjouie. Office, présenté en séance de minuit à Cannes, ne déçoit pas pour peu que vous n'ayez rien contre un beau petit tour de manège.
Office s'ouvre par une scène d'une cruauté, si l'on peut dire, tout coréenne: le massacre terrible d'une famille dont le mignon gamin, l'instant d'avant, était encore en train de jouer avec son croquignolet puzzle de chiots. La noirceur d'Office n'est pourtant pas qu'une question de surenchère et de complaisance. L'horreur dont on parle est celle d'un massacre au marteau, mais celle-ci joue sur une double lecture et se déplace dans les bureaux d'une entreprise. Et si le mec le plus flippant du monde était tout simplement votre voisin d'open space ? Plus précisément, est-ce que le monde du travail, et notamment le monde du travail coréen, produit des monstres ? Faut-il être un monstre pour s'en sortir et survivre ? Il y a déjà une sorte d'accouchement monstrueux au début du film, lorsque la jeune stagiaire héroïne doit s'extirper d'une masse indistincte d'humains pour sortir du métro et gagner son bureau. Elle y sera traitée comme un torchon. Office est une sorte de variation ultra-tendue de 10 Minutes, le brillant film de Lee Yong-Seung dévoilé l'an passé à la Berlinale et qui racontait une violence (plus quotidienne et insidieuse) dans un bureau similaire.
Au-delà de la fable sociale farceuse, il y a aussi un thriller premier degré à l'efficacité remarquable. Pour sa première mise en scène, Hong peut s'appuyer sur une photographie encore une fois nickel et un script écrit par une autre (la scénariste Choi Yun-Jin, auteure notamment de Steel Cold Winter). Choi, comme Hong, sait construire ses personnages, ménager des surprises, établir un mystère ludique et n'hésite pas, à l'image de ses nombreux collègues coréens, à effacer la frontière entre les genres. Office est sérieux mais sait quand il le faut ne pas trop se prendre au sérieux. Office est un thriller, mais son suspens qui fait vaciller la raison se permet quelques réjouissants coups de volant du côté de l'horreur, voire du slasher (il faudra néanmoins un petit saut de foi pour accepter cette bascule).
La jeune Ko A-Sung, repérée dans The Host, Une vie toute neuve ou Snowpiercer, brille dans le rôle de Mirae, frêle stagiaire à la tête timidement enfoncée entre ses épaules, tandis qu'un ourson Paddington est encore posé sur son bureau. La très bonne bande sonore du film se contente avec minimalisme d'être une sorte de bruit de sonar - tout à fait à propos dans ce récit en sous-marin asphyxiant. Mirae devra apprendre à manoeuvrer ce sous-marin dont l'enfer évoque souvent celui de Dream Home, où le fable d'horreur sociale se déroulait dans un autre décor. Ce premier essai est une réussite maline, généreuse et excitante.