Noé
Noah
États-Unis, 2013
De Darren Aronofsky
Scénario : Darren Aronofsky, Ari Handel
Avec : Jennifer Connelly, Russell Crowe, Logan Lerman, Emma Watson, Ray Winstone
Photo : Matthew Libatique
Musique : Clint Mansell
Durée : 2h19
Sortie : 09/04/2014
Noé, un homme promis à un destin exceptionnel alors qu’un déluge apocalyptique va détruire le monde. La fin du monde… n’est que le commencement.
REQUIEM POUR UN MONDE
Concrétisant son projet de rêve, avec le genre de budget dont il n'a pu bénéficié sur The Fountain, Darren Aronofsky (qui se présente comme non-croyant), propose une épopée biblique comme on n'en a jamais vu. Tout autant une adaptation littérale du texte qu'une interrogation sur celui-ci, Noé est un film à la structure atypique, mêlant les genres avec une cohérence impressionnante sans jamais nuire à un propos qui parvient à éviter tout prosélytisme. L'ambition de Noé est presque sans pareil. Le metteur en scène aurait pu se contenter de s'inspirer de l'histoire de Noé, afin de ne brusquer personne, dévoués comme athées, mais embrasse l'Ancien Testament avec un aplomb qui force le respect et sans jamais tomber dans l'illustration vulgaire. L'approche lorgne délibérément du côté du blockbuster mais on n'est pas dans de la propagande grossière façon La Passion du Christ. A l'instar de son récit, qui commence avec une séquence tout droit sortie de Conan le Barbare, Aronofsky, aidé de son chef opérateur Matthew Libatique, compose parmi les plans les plus iconiques de sa filmographie, retrouvant l'imagerie onirico-spirituelle de The Fountain, les soucis de symétrie en moins, tout en optant pour une lumière plus naturelle le reste du temps - sans atteindre le "réalisme" de The Wrestler non plus - magnifiant les paysages islandais décidément chers aux cinéastes ces derniers temps lorsqu'il s'agit d'évoquer le monde préhistorique (Prometheus) ou post-apocalyptique (Oblivion). Ce potentiel double est d'autant plus pertinent ici que Noé est presque autant un film post-apocalyptique qu'un film pré-apocalyptique.
THE BOOK OF DARREN
L'action commence évidemment avant le Déluge mais la Terre nous est présentée comme déjà ravagée, dominée par une humanité en perdition. De Conan le Barbare, on passe à Mad Max 2. Déjà dans Black Swan, le réalisateur unissait les influences et les références, des Chaussons rouges au body horror en passant par Polanski dans un tout homogène qui servait au mieux l'intrigue et le parcours de son héroïne. Rebelote dans Noé qui, en plus des deux films susmentionnés, épouse à 100% les aspects heroic fantasy de la Bible et de textes apocryphes tout en tissant un drame humain, par le biais d'un récit qui rappelle autant Take Shelter dans sa première moitié que Shining dans sa deuxième. La construction en deux temps du film pourra en faire décrocher certains mais elle paraît plutôt intelligente en fin de compte. Toute la première partie est conçue comme un récit héroïque classique - on ne va pas chercher le héros de Gladiator pour rien - avec un personnage qui invoque davantage l'empathie que, pour continuer la comparaison, celui de Michael Shannon dans le film sus-cité de Jeff Nichols. Dans le fond, c'est le même. Un père de famille assailli de visions de l'apocalypse à venir prépare la survie. Sauf qu'ici, il ne passe pas pour un fou. Aronofsky a parfaitement conscience que le public connaît l'histoire de Noé et ne remet jamais en question ses prémonitions. Non seulement ce point de vue participe à l'acceptation du texte biblique par sa réinterprétation en récit mythologique à la Seigneur des Anneaux, mais surtout, par conséquent, le spectateur est acquis à sa cause lorsque...tout bascule.
L'ARC DE NOÉ
Aucune image de la deuxième moitié du film n'a filtré dans la promo, peut-être parce que, passé le spectaculaire climax à mi-film, Aronofsky troque le blockbuster pour du huis clos où il vient se faire abattre toutes ses questions sur son protagoniste...qu'il transforme presque en antagoniste. Soudain, notre héros qui n'a cessé d’avoir raison sur tout, et surtout, qui n'a cessé d'avoir raison d'écouter la parole de Dieu, adopte une position des plus discutable. On en viendrait presque à rallier le discours du "méchant" du film, discours littéralement énoncé lors d'une scène où il galvanise ses troupes, comme le ferait un héros. Le cinéaste réutilise intelligemment les codes des films d'heroic fantasy pour présenter deux personnages qui ne sont pas tout noir ou tout blanc. De ce point de vue-là, Noé est un personnage typiquement aronofskien dans son obsession auto-destructive, filmé avec cette même alternance de gros plans et de plans très larges qui ne cessent d'isoler le personnage dans le cadre. L'arc du protagoniste est très intéressant et audacieux, osant faire évoluer Noé de protecteur à fanatique religieux tandis que le Créateur, tout d'abord vengeur, s'avère finalement miséricordieux. C'est dans ce développement qu'Aronofsky parvient à apporter son regard sur le texte original, sans le dénaturer mais en le réinterprétant - tout comme lorsqu'il concilie religion et science dans une incroyable séquence relatant la Genèse - en trouvant l'ambiguïté comme pouvait le faire Nikos Kazantzakis (et Martin Scorsese) sur La Dernière Tentation du Christ, allant jusqu'à remettre en question la parole divine. Pour Aronofsky, le péché originel n'est pas tant l'accès à la connaissance mais la perte de l'innocence qui a mené au meurtre d'Abel par Caïn. Un geste qu'il faut défaire pour renaître. Ainsi le film fonctionne-t-il également comme une parabole sur le monde actuel. L'industrialisation détruit le monde et l'Homme détruit son prochain. Noé est donc aussi un message sain dans ce sens, pas un prêchi-prêcha alarmiste, mais un constat. Et un regard optimiste. Après tout, c'est l'histoire d'une Apocalypse, et le film n'hésite pas à aller dans la noirceur, mais surtout d'une renaissance.