Chelli
Chelli s’occupe de sa sœur Gabby, handicapée mentale. Quand les services sociaux découvrent que Gabby reste seule à la maison lorsque sa soeur part travailler, Chelli se retrouve contrainte de la placer dans un institut de jour. Ce changement va cependant lui permettre de se rapprocher de Zohar. La présence de cet homme dans sa vie va engendrer une fêlure dans la relation symbiotique des deux sœurs. Tous trois forment alors un trio étrange, où les frontières entre amour, sacrifice et torture vont être brisées.
ENTRE ELLE ET MOI
Chelli est un premier long métrage qui se dévoile peu à peu et ne s’offre pas facilement. Dans un premier temps, le film est en effet comme dépourvu de tension (moins au sens de rythme que d’événements dramatiques, même si cela marche un peu dans les deux sens). Le film ne montre pas le quotidien de Chelli et sa sœur lourdement handicapée Gabby (surnommée… Gabbouche) sous l’angle de la contrainte, mais le dépeint au contraire comme quelque chose de tout à fait domestiqué, normal. Chelli a organisé son quotidien autour de sa sœur, et de la même manière qu’elle détient le trousseau clés de la grille du lycée où elle travaille, elle a organisé pour elles deux une vie coupée du monde. Pourtant Chelli ne s’intéresse pas de la même manière à ses deux protagonistes. Le handicap n'est pas le sujet du film, et Gabby n’est qu’un second rôle, laissant toute la place à Chelli, au travail herculéen que l’on devine sous son calme perpétuel, au cheminement qui l’a amenée à trouver un tel équilibre. Car Chelli est heureuse. Gabby aussi. L’équilibre fonctionne même s’il est fragile. La meilleure idée de Chelli est, pendant un long moment, de feindre de croire à la réussite de cette entreprise. De nous y faire croire nous-même. Le scénario privilégie la subtilité, et il faut attendre un certain moment pour que le vernis commence à se fissurer.
L’arrivée d’une troisième personne dans l’équation (le nouveau fiancé de Chelli) ne vient pas déséquilibrer la relation des deux sœurs de manière classique. Comme dans Mommy de Dolan, son arrivée se fait au contraire en douceur, avec une facilité déconcertante dont l’héroïne est la première étonnée. Pourtant la surprenante cruauté du scénario est déjà en marche. Une cruauté jamais moqueuse, qui ne manque jamais de respect aux personnages ou à son sujet, qui au contraire témoigne d’une honnêteté intellectuelle rare envers une situation et des sentiments particulièrement complexes. Cruauté de mettre face à face l’impatience ponctuelle et légitime de Chelli envers sa sœur, face à la bonne volonté de son nouveau fiancé. Cruauté de dévoiler peu à peu toute la violence de la situation. La violence de Chelli envers elle-même, qui s’est chargée d’un fardeau trop grand pour elle et dont elle refuse de se départir (elle n’accepte qu’à contrecœur l’aide de sa mère ou d’un centre spécialisé). La violence subtile de sa relation à sa sœur qui, malgré les meilleurs intentions, se retrouve couvée et surprotégée, transformant une relation qui est basée sur le dialogue et l’échange en construction d’une solitude encore plus grande. Violence enfin de cette déchirante solitude, qui revient en pleine face de Chelli. L’incapacité de cette dernière à faire face à sa soudaine sensation de culpabilité (justifiée ou non) constitue le climax de ce film plus émouvant que prévu.