Mourir peut attendre

Mourir peut attendre
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Mourir peut attendre
No Time to Die
Royaume-Uni, 2021
De Cary Fukunaga
Scénario : Cary Fukunaga, Neal Purvis, Robert Wade
Avec : Daniel Craig, Rami Malek, Léa Seydoux
Photo : Linus Sandgren
Musique : Hans Zimmer
Durée : 2h43
Sortie : 06/10/2021
Note FilmDeCulte : ***---
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Bond a quitté les services secrets et coule des jours heureux en Jamaïque. Mais sa tranquillité est de courte durée car son vieil ami Felix Leiter de la CIA débarque pour solliciter son aide : il s'agit de sauver un scientifique qui vient d'être kidnappé. Mais la mission se révèle bien plus dangereuse que prévu et Bond se retrouve aux trousses d'un mystérieux ennemi détenant de redoutables armes technologiques…

JAMES BOND RETURNS

Unique en son genre, la saga James Bond a longtemps eu une relation cavalière avec la continuité. Censément, les cinq acteurs qui se sont succédés dans le rôle entre 1962 et 2002 jouaient un seul et même personnage, la temporalité défiant semblablement toute logique dans un saut de foi tacitement accepté par le spectateur. En vérité, un semblant de continuité existait au départ, avec la découverte graduelle de l'organisation du S.P.E.C.T.R.E. Et si c'est la femme de George Lazenby que Blofeld tue dans Au service secret de sa Majesté, c'est Sean Connery qui cherche à se venger dans Les Diamants sont éternels et c'est Roger Moore qui pose des fleurs sur sa tombe dans Rien que pour vos yeux. D'ailleurs, Connery abandonne le rôle à 40 ans et Moore le reprend à 45 ans, ne nécessitant aucun saut de foi. En un sens, Tuer n'est pas jouer était déjà un reboot qui ne disait son nom et un Dalton de 42 ans passe le témoin à un Brosnan du même âge dans GoldenEye. Une vulgaire question de droits empêchant le S.P.E.C.T.R.E. et Blofeld d'être évoqués, le seul lien entre le Bond de Dalton et celui de Moore résidait dans la présence de Robert Brown en M. Mais Judi Dench est bien restée M dans Casino Royale alors que ce dernier est officiellement un reboot.

Néanmoins, lorsque Daniel Craig devient l'agent 007, la licence choisit de l'illustrer de façon littérale, montrant Bond obtenir son permis de tuer. Une origin story à plus d'un titre qui allait expliquer comment Bond était devenu Bond, cet espion aussi froid avec ses ennemis qu'avec ses conquêtes. En un sens, il aurait presque été possible de voir Casino Royale comme une préquelle puis d'enchaîner avec les 20 films qui le précèdent. Les producteurs auraient pu choisir de suivre cette relance avec des épisodes indépendants les uns des autres. Juste une nouvelle aventure de James Bond, comme avant. Mais ils ont choisi de faire Quantum of Solace. Suite directe du précédent, ce film qui s'apparente presque à un long épilogue allait définir l'ère Craig comme celle de la continuité accrue. Face à l'accueil tiède réservé à ce deuxième volet, les producteurs préfèrent un troisième opus isolé mais les mauvaises leçons sont tirées de la réussite de Skyfall. Cherchant à être tout aussi intime et réflexif, Spectre, le bien-nommé, invoque ce qui hante le protagoniste dans un effort de tout lier pour en amplifier le sens. Malheureusement, l'exécution se hâte et se gâte. Annoncé d'emblée comme le dernier Bond de Craig, Mourir peut attendre opte de s'inscrire plus que jamais dans cette continuité. En lui donnant une conclusion, pour le meilleur et pour le pire.

L'entrée en matière est pourtant prometteuse mais porte déjà en elle les germes de sa défaite. Il est évident que les meilleures intentions pavent le chemin qu'emprunte maladroitement le film mais une nouvelle fois après Spectre, le mot d'ordre semble être retcon (de "retroactive continuity", une altération de faits établis dans une œuvre de fiction antérieure par l'apport de nouveaux éléments explicatifs) et le premier de nombreux éléments fabriqués pour "forcer" les choses fait son apparition. Toutefois, la scène est belle et tranche avec le type d'introduction auquel la saga nous avait habitué. S'ensuit un prégénérique doublement réussi, dans l'action mais surtout dans la volonté de replacer une fois de plus l'humain au cœur de l'intrigue, de torturer Bond non pas physiquement comme dans tant de films mais émotionnellement. Quand la scène s'est terminée, avant le joli générique sur la chanson faible de Billie Eilish, on est agréablement surpris de constater que la relation entre Bond et Madeleine Swann, pour qui il quittait le MI6 à la fin de Spectre, est déjà plus convaincante que dans ce dernier. Mais le film fait alors l'erreur de la mettre de côté pour retomber dans la formule de la série, avec son enquête en forme de jeu de pistes à travers le globe, certes soigneusement appliquée mais rendue fonctionnelle par l'incapacité du film à agencer les divers éléments qui le composent de façon à raconter quelque chose.

Il suffit de voir ce que le scénario fait de Nomi, l'agent qui a hérité du matricule 007 depuis le départ de Bond. Lashanna Lynch est franchement persuasive mais sous-exploitée. Il faut dire que Skyfall avait déjà joué la carte de l'agent vieillissant et dépassé par le nouveau monde mais l'antagonisme qui naît ici de leurs interactions est superficiel. Le seul propos qu'elle sert, c'est qu'elle incarne la nouvelle génération, quelqu'un à qui Bond pourrait passer le flambeau. Sinon, elle fait souvent son taf de son côté, Bond la croise peu. C'est du gâchis. Il en va de même pour le méchant du film, Lyutsifer Safin (sic), trop absent de ce long deuxième acte. Rami Malek n'est pas mauvais dans le rôle mais, comme l'écriture de son personnage, il ne propose rien de très intéressant dans sa performance. Au départ, le script donne une motivation personnelle à ses actes puis semble vouloir l'affubler d'une philosophie et d'une cause...mais sans jamais l'expliquer clairement. Et finalement, une dernière pirouette l'en défait complètement. Cette caractérisation est la même que pour beaucoup de bad guys de la saga mais le manque de lisibilité et de décision dans l'écriture achèvent de rendre cet antagoniste désincarné. Un pot-pourri de grands méchants. A ce titre, Blofeld est réduit ici à une sorte de Hannibal Lecter, confirmant que la saga n'a pas trop su quoi faire du personnage dans sa nouvelle itération. Un cahier des charges pas si facile à remplir donc, comme en témoignent les scènes d'action, plus excitantes que celles de Spectre mais tout aussi peu inventives. C'est toujours remarquablement mis en image (l'infiltration dans le laboratoire, la scène dans la forêt embrumée) mais ça manque de concepts. Et s'il est plutôt réjouissant de voir Ana de Armas se battre et dézinguer des gens, on aurait aimé la voir plus de 10 minutes.

Ce n'est que tardivement, dans son troisième acte, que le film tente de renouer avec une thématique en développant des pistes iconoclastes mais pas inintéressantes. Le souci, c'est qu'elles sont trop mal amenées et traitées pour que la fin, qui a du sens sur cette ère marquée par la continuité, soit méritée. Il y a eu trop d'arrangements artificiels, dans les révélations sur les personnages ainsi que dans le McGuffin trop SF pour arriver à cette issue. En réalité, si la relation entre Bond et Madeleine est plus convaincante ici que dans Spectre, c'est sans doute parce qu'elle nous est donnée dès le départ comme un fait accompli, mais c'est aussi parce qu'elle était si précipitée et peu crédible dans le précédent film que ce dont elle accouche ici peine à prendre chair. En fait, les événements de ce dernier tiers paraissent répondre à une question que le film n'a jamais posé en amont. S'il y a un sens à trouver à cette clôture, il faut davantage aller la chercher dans le parcours du héros au cours de cette "pentalogie", regarder ce qui l'anime, ce qu'il cherche, quelles sont ses véritables allégeances. Vu sous cet angle, l'idée de la fin est belle mais les jalons nécessaires pour qu'elle ait l'impact souhaité manquent tellement dans ce chapitre-ci qu'on reste un peu insatisfait face à cette résolution. Peut-être la continuité n'est-elle pas appropriée à cette saga. Après tout, ce n'est pas un hasard si, des cinq films de Craig, les plus réussis sont les seuls à ne pas s'inscrire dans la continuité d'un précédent film. Heureusement, la seule continuité qui importe est résumée par ce carton qui clôt chaque film de la franchise depuis 50 ans : James Bond will return.

par Robert Hospyan

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