Moi, Daniel Blake
I, Daniel Blake
Royaume-Uni, 2016
De Ken Loach
Durée : 1h36
Sortie : 26/10/2016
Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake, un menuisier anglais de 59 ans, est contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de problèmes cardiaques. Mais bien que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l'obligation d'une recherche d'emploi sous peine de sanction. Au cours de ses rendez-vous réguliers au « job center », Daniel va croiser la route de Rachel, mère célibataire de deux enfants qui a été contrainte d'accepter un logement à 450km de sa ville natale pour ne pas être placée en foyer d’accueil. Pris tous deux dans les filets des aberrations administratives de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, Daniel et Rachel vont tenter de s’entraider…
JE RALE POUR VOUS
Qu’attendre d’un nouveau film de Ken Loach ? En tout cas pas du nouveau, la formule cinématographique du cinéaste britannique restant inchangée depuis belle lurette. Mais pourquoi, a priori, changer une recette qui demeure populaire ? Moi, Daniel Blake se présente comme une comédie sociale dotée d'un cœur gros comme ça, avec comme héros un attachant papy courage. Daniel Blake râle contre tout ce qui vous fait râler: contre les secrétaires médicales trop lentes, contre les musiques d’attente au téléphone, contre la course à la technologie... Daniel râle tellement qu’on croirait le scénario écrit par Joelle Goron plutôt que Paul Laverty. Plus sérieusement, l’insistance avec lequel le film se délecte, lors d’une séquence interminable, sur l’aversion de Daniel pour les ordinateurs (en mode "ah les jeunes et leur internet"), gave et finit par mettre mal à l’aise à force de lourdeur.
Il serait injuste de reprocher à Loach, comme à tout autre cinéaste, de poursuivre la voie qui est la sienne. Ce qu’il faut au contraire souligner, c’est la paresse d’un cinéma devenu tellement programmé qu’il en devient paradoxal. Loach montre des agents administratifs obtus et fermés (comme dans tous ses derniers films, les méchants sont vraiment méchants – sans nuance), mais le scénario est tellement incroyablement manichéen qu’il a aussi peu de subtilité que ceux qu’il dénonce. Ici, les gentils sont uniquement gentils, là encore sans équivoque. Daniel Blake n’a aucun défaut grave, il vole au secours de la veuve et de l’orphelin avec une célérité qui défie la vraisemblance. Il y a les gentils et les méchants, et les gentils, c’est vraiment tellement mieux que les méchants.
Lors d’une scène, un personnage secondaire explique à quel point l’état a fait du mal à Daniel. Ironique, tant c’est Ken Loach et son scénariste qui passent tout le film à accumuler les embûches en avalanches, faisant de leur héros un pantin à la destinée particulièrement cruelle. Plus qu’ironique : cynique. Il faut se pincer devant une autre scène où les badauds dans la rue se mettent à applaudir Daniel et huer les flics qui l’embarquent. Avec un didactisme gênant, le film nous dit alors clairement ce qu’il faut penser et comment réagir (il ne manque presque plus qu’une flèche avec inscrit : "Lui, il est bien, pas les autres"), et ça marche : dans la salle de la projection de presse à Cannes, quelques spectateurs ont effectivement applaudi à l’unisson. Loach aurait-il inventé le cinéma-karaoké ?
Il y a de quoi rester songeur en comparant ce traitement à celui, par exemple, des films de Brillante Mendoza. Chez ce réalisateur, les personnages vivent souvent dans des conditions encore pires que ceux de Loach, mais le cinéaste philippin parvient à leur redonner une dignité sans pour autant oublier de faire du cinéma. Il n’y a presque pas de cinéma dans Moi, Daniel Blake, téléfilm tellement prévisible qu’on pourrait presque en réciter tous les dialogues à l’avance. Qu’attendre d’un nouveau film de Ken Loach ? Qu’il se réveille, et que ses films retrouvent enfin la force qu’ils avaient il y a encore dix ans.