Miss Peregrine et les enfants particuliers
Miss Peregrine's Home for Peculiar Children
États-Unis, 2016
De Tim Burton
Scénario : Jane Goldman
Avec : Asa Butterfield, Eva Green
Photo : Bruno Delbonnel
Durée : 2h07
Sortie : 05/10/2016
À la mort de son grand-père, Jacob découvre les indices et l’existence d’un monde mystérieux qui le mène dans un lieu magique : la Maison de Miss Peregrine pour Enfants Particuliers. Mais le mystère et le danger s’amplifient quand il apprend à connaître les résidents, leurs étranges pouvoirs... et leurs puissants ennemis. Finalement, Jacob découvre que seule sa propre "particularité" peut sauver ses nouveaux amis.
AU REVOIR LES ENFANTS
Sur le papier, l'adaptation du best-seller Miss Peregrine et les enfants particuliers semblait taillée pour le cinéma d'outsiders fantastiques de Tim Burton. Un peu trop peut-être, pour ceux qui aimeraient voir le cinéaste sortir de sa zone de confort. Sa conception du surnaturel comme expression détournée du réel est en tout cas celle qui sous-tend une bonne partie de la filmographie du réalisateur, qu'il s'agisse des merveilleuses (fausses) balivernes de Big Fish ou de la grimaçante déformation anarchiste d'un Mars Attacks!. Dans Miss Peregrine et les enfants particuliers, les enfants « particuliers » sont des cibles de persécution, tandis qu'en temps de guerre on parle de monstres en Pologne. Loin des horreurs numériques de son Alice, Miss Peregrine et les enfants particuliers est plutôt agréable à l’œil grâce à une direction artistique soignée, des effets réussis et un bestiaire merveilleux assez séduisant. Dans cette production qui vise avant tout le jeune public, Burton se permet même quelques détails macabres assez croustillants.
Mais s'il est un peu facile de tout mettre sur le dos de sa scénariste (on sait que Burton, même s'il n'écrit généralement pas ses scripts, est impliqué dans leur développement), Miss Peregrine et les enfants particuliers est à nos yeux un échec narratif. Écrit par Jane Goldman (Kick-Ass, La Dame en noir ou X-Men le commencement), le scénario de Miss Peregrine est particulièrement fastidieux et donne l'impression, pendant les trois quarts du film, d'assister à une laborieuse exposition de sa mythologie avant la mise en place d'une future franchise – il y a plus excitant comme pari de cinéma. Miss Peregrine et les enfants particuliers n'échappe pas au calibrage de ces sempiternels récits d'élus qui se dirigent tout vers un dernier acte où l'on se tape dessus sur une musique martiale. Le héros à la Tintin (essayez de décrire le personnage d'Asa Butterfield avec plus de deux adjectifs) ou ladite Miss Peregrine (par une Eva Green décevante qui bégaye une interprétation volontairement outrée dans laquelle on l'a déjà vue ailleurs, et en plus inspirée) ne seront pas des personnages inoubliables du cinéma de Burton. Plus grave, Miss Peregrine et les enfants particuliers fait partie de ces adaptations littéraires extrêmement bavardes qui ne font pas confiance à l'image : on passe ici son temps à raconter, expliquer, commenter, essorant toute trace de mystère au fantastique.
Le dernier acte sans souffle nous rappelle que Burton n'est pas nécessairement un as en termes de scène d'action. Et nous rappelle aussi que son cinéma dédié au contre-pouvoir et à la contre-culture ne s'est vraiment exprimé dans des blockbusters que lorsqu'il a réussi à les faire dérailler (de Batman, le défi dont les héros sont les freaks à un Charlie et la chocolaterie et sa fantaisie anti-badass qui semble déjà appartenir à une autre époque d'Hollywood). Lorsque le cahier des charges omniprésent d'Alice ou Miss Peregrine mange le cinéaste, on se dit que le succès commercial n'est peut-être pas ce qui lui est arrivé de mieux...