La Grâce
Gnade
Allemagne, 2012
De Matthias Glasner
Scénario : Kim Fupz Aakeson
Avec : Birgit Minichmayr, Jürgen Vogel
Photo : Jakub Bejnarowicz
Durée : 2h12
Sortie : 06/11/2013
Un couple d'Allemands, Niels et Maria, vivent avec leur fils dans une ville norvégienne sur le bord de l'océan Arctique, au nord-ouest du pays. Entre le 22 novembre et 21 janvier, le soleil ne se lève jamais. Ils se sont habitués à cette atmosphère de rêverie glacée, quelque part entre le crépuscule et la nuit noire permanente. Mais un jour, en rentrant du travail, Maria est impliquée dans un accident, et semble avoir écrasé quelqu'un ou quelque chose. Dans l'impossibilité de faire face à la situation, elle panique et se précipite à la maison...
COUP DE GRÂCE
Ceux qui avaient quitté Matthias Glasner avec Le Libre arbitre (sorti chez nous il y a quatre ans) risquent d’être surpris, car son dernier long-métrage, La Grâce, en est à la fois le prolongement et presque le contraire. Le prolongement car la thématique du pardon et de la rédemption est toujours au cœur des enjeux du film, et le contraire car l’âpreté du Libre arbitre laisse ici place à un film beaucoup plus ample et lyrique. Une générosité qui ne se retrouve pas seulement dans les thèmes du film, mais aussi dans sa construction. La Grâce commence en effet avec les meilleures qualités de la nouvelle vague allemande, notamment cette manière assez incroyable de faire naître un mystère proche du fantastique en se basant uniquement sur des éléments ultra-réalistes. Puis, alors qu’on se croit en terrain connu, le film bifurque et change de registre. L’inquiétante étrangeté laisse place à un drame familial à priori plus convenu mais, alors qu’on commence à trouver dommage d’avoir éclairci ce mystère, un nouveau virage vient parer le film d’un lyrisme lui aussi inattendu. Du sentimentalisme dans un film de l’Ecole Berlinoise ? On se pince pour y croire, mais c’est avant tout la preuve que le cinéma de Glasner a su évoluer. Avait-on jusqu’ici déjà vu parmi les cinéastes de sa génération autant de soin apporté à la musique et à la lumière sans que cela vire au simple décorum ? La surprise est ici d’autant plus grande que ces variations sont très réussies.
Si La Grâce surprend et emballe, c’est aussi en mélangeant ses qualités germaniques à des thématiques pour le coup plutôt scandinaves : décorticage des conventions familiales, et jugement moral planant au-dessus des personnages. Pas seulement parce que l’action se déroule en Norvège, mais plus concrètement parce que le scénario est signé d’un auteur danois (à qui l’on doit entre autre le scénario du récent Perfect Sense). Dès lors, on comprend mieux pourquoi le film de Glasner rappelle à plusieurs reprises une référence inattendue : Revenge de Susanne Bier. Même propos ambitieux, et récit similaire d’une réconciliation familiale où ce qui arrive à une génération sert de leçon à l’autre. Un tel scénario déplacé dans un univers bourgeois et citadin aurait eu quelque chose de trop convenu. Or, si La Grâce frôle parfois le déjà-vu, le film est surtout transcendé par la présence d’un metteur en scène de grand talent, et pas uniquement parce que les paysages crèvent l’écran. Un indice qui ne trompe jamais : la fluidité avec laquelle on change discrètement de protagoniste en cours de film. Mais c’est surtout cette grande variation de registres qui s’avère au final la plus stimulante. Glasner tente beaucoup de choses, et ne réussit pas tout (la sous-intrigue du fils filmant ses parents est maladroitement exploitée). Mais l’ensemble du long métrage vaut plus que l’addition de tous ces éléments, car la générosité de l’ensemble crée quelque chose d’aussi inattendu que bouleversant. Quand, après toutes ces péripéties, Birgit Minichmayr (déjà repérée dans le génial Everyone Else de Maren Ade) dit Ich liebe dich à son mari, on a l’impression de l’entendre pour la toute première fois.