Martyrs
France, 2007
De Pascal Laugier
Scénario : Pascal Laugier
Avec : Morjana Alaoui, Catherine Bégin, Mylène Jampanoï, Patricia Tulasne
Musique : Alex Cortés, Willie Cortés
Durée : 1h37
Sortie : 03/09/2008
France, début des années 70. Lucie, une petite fille de dix ans, disparue quelques mois plus tôt, est retrouvée errant sur la route. Son corps maltraité ne porte aucune trace d'agression sexuelle. Les raisons de son enlèvement restent mystérieuses. Traumatisée, mutique, elle est placée dans un hôpital où elle se lie d'amitié avec Anna, une fille de son âge. 15 ans plus tard. On sonne à la porte d'une famille ordinaire. Le père ouvre et se retrouve face à Lucie, armée d'un fusil de chasse. Persuadée d'avoir retrouvé ses bourreaux, elle tire.
ANATOMIE DE L'ENFER
Il y a bien eu quelques frémissements, du singulier Maléfique au gouailleur Sheitan, en passant par le carré Ils, quelques vraies détonations voisines, comme en Belgique avec Calvaire, mais l'horreur dans la langue de Molière semblait au pire se vautrer dans la médiocrité à peine digne d'une Fête du Cinéma, au mieux en rester à un travail de fan-enfant recopiant les antiques petites bibles du genre. Saint Ange, le premier film de Pascal Laugier, laissait déjà apparaître quelques promesses, à transformer néanmoins, car si la patte visuelle était bien là, le récit tournait souvent à l'hommage et à l'exercice de style. Martyrs confirme avec bruit et fureur que ce n'était qu'un tour de chauffe avant le tour de force, via ce pari aussi cohérent que démesuré où Laugier prouve que jusqu'au-boutisme ne signifie pas simplement d'en faire des tartines à la façon d'un A l'intérieur complaisant ou un Frontière(s) proche de la débilité. Si Martyrs n'est pas une révolution, c'est au moins une date rouge sang dans l'horreur française.
Laugier, chien fou comme un bleu et solide comme un vieux briscard, digère parfaitement des influences là où celles-ci restaient en grumeaux sur Saint Ange : Martyrs pioche à la fois dans le torture flick, le film de fantôme, la glace délétère d'un Funny Games ou l'horreur poétique des Yeux sans visage. Un patchwork inédit qui voit le réalisateur jongler avec la maestria d'une gymnaste sur ses barres asymétriques, bille en tête, imperturbable, dans une débauche de brutalité qui ne semble jamais s'arrêter, jusqu'à tordre les corps, jusqu'à l'extase morbide, la dernière perversion, la plongée en enfer et toujours plus bas, le mal à son origine. "Au bout, tout au bout de la violence, est-ce qu'il y a quelque chose ?" se demande Laugier, scrutant les mondes invisibles dans un pandémonium aseptisé où règne un cercle infernal de violence, infligée dans un désir de vengeance, dans un aveuglement amoureux, dans une lubie sadique. Martyrs a l'audace de tenter l'icône fantastique, la scène inoubliable, ce quelque chose qui offre au film sa mythologie propre, lors d'un moment que personne ne pourra oublier une fois le film vu et qui fera régner le silence dans la salle. Pas un simple coup de Taser, la terreur chez Laugier est aussi émouvante que dérangeante. Et le film de confirmer que, de par ses différents visages, des petits maîtres (The Mist ou Cloverfield) aux grands (Sweeney Todd de Burton ou Phénomènes de Shyamalan) en passant par les Espagnols (REC, L'Orphelinat), 2008 est une excellente année pour le genre. Pascal Laugier s'en fait désormais un magnifique et inespéré chef de file du côté de chez nous. Et pour pleinement apprécier son morceau de bravoure, mieux vaut s'arrêter ici et ne pas trop en savoir.