Man of Steel

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Un garçon apprend qu'il est doté de pouvoirs extraordinaires et qu'il n'est pas né sur Terre. Une fois jeune adulte, il part en voyage pour découvrir d'où il vient et pourquoi il a été envoyé sur notre planète. Mais le héros en lui se doit de faire surface pour sauver le monde de l'annihilation et devenir un symbole d'espoir pour l'humanité entière.

THE BEGINNING IS THE END IS THE BEGINNING

Au cours de l'une des conférences qu'il avait données dans diverses universités à travers les États-Unis, réunies dans la série DVD baptisée An Evening with Kevin Smith, le cinéaste culte, réputé notamment pour sa vaste culture en comics, relatait son expérience avec Jon Peters, producteur du nouveau Superman qui peinait à se monter dans les années 90. Embauché pour écrire l'une des nombreuses incarnations de ce projet qui ne vit jamais le jour, Smith cite, au milieu d'un amas hilarant d'anecdotes ubuesques concernant les exigences de Peters, cette phrase que lui tint le producteur : "Au final, tout ça, c'est pour vendre des jouets." On pourra débattre éternellement de l'opposition entre l'art et l'industrie, l'Histoire nous a prouvé que, malgré cette dichotomie inhérente aux blockbusters lorsqu'ils sont dirigés par des metteurs en scène qui ne sont pas de simples exécutants, peu importe que les motivations des producteurs soient vénales si le résultat final a quelque chose d'artistiquement intéressant à proposer. Une question d'autant plus à propos que Man of Steel est un reboot, sept ans seulement après le Superman Returns de Bryan Singer, loin d'avoir convaincu tout le monde, lui-même une suite tardive à une saga de déjà quatre chapitres. Et on ne parle même pas des serials et autres séries télévisées. Qu'il s'agisse à nouveau d'une origin story n'était pas non plus pour rassurer. S'il y a un personnage dont la Terre entière connaît les origines, c'est bien Superman. Toutefois, nous accordions le bénéfice du doute au film, compte tenu de son illustre parrain, Christopher Nolan, et les premières images ont su mettre un terme aux craintes, même celles des fervents détracteurs de Zack Snyder, choix relativement improbable au vu des sensibilités pour le moins différentes des deux auteurs. Mais peut-être Man of Steel est-il aussi un reboot pour son metteur en scène? Parce que si Nolan et Goyer ont su trouver un nouvel angle pour s'attaquer au personnage, et justifier de reprendre à zéro, Snyder n'est pas venu les mains vides non plus, le parti-pris thématique imposant des ramifications esthétiques. Ensemble, le trio nous propose ainsi un Superman comme on n'en a jamais vu au cinéma.

SUPERMAN BEGINS

Il y a de ça maintenant huit ans, nous découvrions Batman Begins, reboot mérité d'une saga perdue, dirigé par Messieurs Christopher Nolan et David Goyer. Aujourd'hui, ils nous reviennent pour en redémarrer une autre. Connaissant la filmographie de Goyer et celle de Nolan, nous aurions parié que le scénario original de Goyer était linéaire et que le choix de raconter la naissance du héros en alternant passé et présent était une décision de Nolan, dont c'était le modus operandi sur ses deux premiers longs métrages. On ne saura sans doute jamais si c'était le cas étant donné que l'on retrouve cette même formule ici. Si le terme de "formule" peut sembler quelque peu péjoratif, c'est que la recette prend un peu moins bien cette fois-ci. Alors que l'on pouvait craindre un récit trop proche du film de Richard Donner, passant de Krypton à Smallville à Metropolis, on retrouve une structure collant d'assez près à Batman Begins. Le film prend le temps de raconter à nouveau la mythologie du kryptonien et à ce titre, l'introduction, qui lorgne davantage du côté de Star Wars, s'avère remarquablement inattendue. Pour tous ceux qui craignaient de voir le "réalisme" nolanien estomper tout ce que le matériau peut avoir d'"autre", cela devrait sonner comme un soulagement. Si l'ouvrage fait état du même effort à ancrer dans le réel l'adaptation du comic book, l'exercice se fond finalement assez naturellement dans de la pure science-fiction. On retrouve tout le gravitas cher à Nolan - il y a d'ailleurs encore moins d'humour que dans ses Batman - mais on n'est pas exactement dans le même genre d'univers. En fait, ici, l'approche "réaliste" consiste à revisiter l'origin story à travers les codes du film d'invasion extra-terrestre. En gros, que se passerait-il réellement si demain, quelqu'un comme Superman faisait son arrivée sur Terre? Une question que ne se pose jamais le film de Donner. La réinterprétation de cette découverte est doublement judicieuse par son remodelage du personnage de Lois Lane, qui devient une femme forte comme les aime Snyder, abandonnant l'archétype de journaliste sexy amourachée pour en faire un reporter intelligent qui n'est pas sans rappeler Rachel Dawes dans les Batman de Nolan, et directement impliquée dans la découverte. Au même titre que l'armée, forcément méfiante, symbolisant le peuple sceptique face à l'arrivée d'un prophète dans cette relecture des aspects religieux du matériau original.

En même temps, le scénario se permet de passer très vite sur d'autres aspects fondamentaux de cette mythologie, qu'il revisite toutefois par le biais du même prisme de vraisemblance (la "Forteresse de Solitude", le costume). On n'irait pas jusqu'à dire que le film a le cul entre deux chaises, entre le reboot qui fait comme s'il n'y avait rien eu avant et le reboot qui prend en compte que le personnage est quand même archi-connu, mais l'ensemble s'articule parfois bizarrement, chronologiquement parlant. Cela dit, si certains passages peuvent paraître trop rapides, les scènes en elles-mêmes s'avèrent plutôt brillantes. Chaque flashback parvient à aborder les passages obligés avec un œil nouveau, comme en témoigne par exemple la séquence décrivant la découverte de ses pouvoirs par le jeune Clark. Du fait de la vision à rayons X du héros, le crâne de chaque enfant le dévisageant apparait sous la peau, et son ouïe surpuissante lui permet d'entendre le moindre propos discriminatoire chuchoté, ce qui rend la scène plus horrifiante que grisante. D'autres réminiscences, pourtant déjà vues, se révèlent quant à elles gorgées d'émotion, qu'il s'agisse de l'adieu de Jor-El ou de la confession de Pa Kent. Petit à petit, tel son protagoniste, la narration trouve son sens dans cette volonté d'approcher le personnage par un autre angle, assez riche, adoptant le point de vue du jeune homme qui se cherche, et surtout qui porte ses pouvoirs comme un fardeau. Même s'il est encore question de dieu vivant, l'aspect religieux a plus ou moins disparu, dans le fond (Kal-El n'est pas tellement un martyr ici, même s'il y a une phase d'incompréhension de la part des "Hommes") comme dans la forme (tout ce qui caractérisait le Singer, avec son imagerie christique, est absent).

Par conséquent, c'est un Superman relativement inédit (au cinéma) que l'on retrouve ici, enfin caractérisé autrement que comme un boy-scout. Singer en avait fait un messie orphelin en quête d'adoption, Snyder, Goyer et Nolan en font un enfant déchiré entre deux pères, entre ses souvenirs de celui qui l'a élevé, et la conscience artificielle de celui qui l'a conçu, entre ce à quoi il est destiné et ce qu'il peut choisir par lui-même. Quel héritage, quel peuple choisira-t-il? Un Superman plus humain, auquel il est plus naturel de s'identifier, mais aussi un Superman plus énervé, qui a dû se contrôler, se retenir toute sa vie, et ce parcours qui se déroule comme un long crescendo, dans cette structure atypique en deux actes, voit se développer en filigrane cette frustration du super-héros qui explose enfin dans la deuxième partie. Encore plus audacieuse dans son jusqu'au-boutisme SF, l'action venge tous les fans de comics et de films d'action et de bastons de super-héros déçus par Superman Returns avec les combats à base de super-pouvoirs les plus fous depuis...Spider-Man 2? Il faut dire que Superman a enfin un adversaire à sa taille en la personne de Zod. Les apports faits à la mythologie de Krypton offrent même à l'antagoniste une vraie motivation, au-delà du simple méchant qui veut dominer le monde ou de la vengeance, et ses derniers instants parviennent à se faire tragiques, portés par un Michael Shannon renvoyant Terrence Stamp et sa performance cartoonesque aux oubliettes. A l'instar de plusieurs blockbusters récents, ce climax en ville est encore hanté par le spectre du 11 septembre, et s'avère encore plus destructeur que Hulk dans The Avengers, provoquant la même jubilation dans l'abattage de pouvoirs (la vitesse de Faora, le côté bourrin de Superman et Zod, la meilleure illustration de la heat vision que l'on a vue à ce jour). Sans compter les machines kryptoniennes et l'armée qui viennent s'ajouter au barnum...

MAN OF STYLE

Si l'on n'avait aucun doute sur les capacités de Snyder à assurer le spectacle, le réalisateur parvient tout de même à nous surprendre. Man of Steel ne compte qu'un seul ralenti. Et il est au début du film. A la sortie de Sucker Punch, nous écrivions : "Aboutissement d'un projet porté pendant bien longtemps et exacerbant un style entretenu sur plusieurs années, Sucker Punch marque sans nul doute une étape-clé, un tournant dans la carrière de Zack Snyder. Il sera très intéressant de voir où ira son cinéma à présent." Effectivement, ayant vraisemblablement exorcisé ses démons et ses fantasmes les plus fous sur ce film-somme, son plus personnel, le metteur en scène nous revient avec un style inattendu, qui ne consiste pas à singer le travail de Nolan, même si le parti-pris formel découle directement de l'approche thématique. On fait difficilement plus iconique comme terreau. Il n'y a qu'à voir les noms propres. La petite bourgade s'appelle Smallville. La grande ville s'appelle Metropolis. Le héros s'appelle Superman. Et pourtant, Snyder délaisse presque tout ce qui faisait son cinéma, comme la dilatation du temps extrême si caractéristique de sa patte, et confère néanmoins au film tout le caractère iconique requis, même si cette fois, cela passe par un style toujours pictural mais plus impressionniste, qui évoque par moments une approche à la Terrence Malick. On est toujours dans le tableau, mais dans le tableau à l'épaule, avec du grain à l'image. Man of Steel est tout l'inverse de Watchmen. En lieu et place de la déconstruction du mythe, Snyder offre une reconstruction, substituant au cynisme pessimiste d'Alan Moore un premier degré optimiste qui se devait donc de passer par une mise en scène revenue à l'état pur. La caméra tremble, hésite, ne se pose pas. Tout comme le héros. De film en film, Zack Snyder semble habiter son œuvre d'idées. Après avoir plus ou moins amputé L'Armée des morts du propos de son modèle, après un 300 creux et pourtant polémique, Snyder a gardé le fond engagé de Watchmen et, bien que maladroitement, a pondu un Sucker Punch plus profond qu'on a bien voulu l'admettre. Et dans les toutes dernières minutes de Man of Steel - juste avant la fin qui, comme celle de Batman Begins, sonne comme une promesse - intervient ce dernier flashback qui a tôt fait de situer où se trouve le cœur du cinéaste sur un tel projet. A partir du postulat le plus fantastique, Snyder signe son film le plus terre-à-terre. Jamais dans la pose. Pour le pire et le meilleur, le travail de Snyder a toujours été ostentatoire, pour ne pas dire tape-à-l'oeil, mais c'est avec humilité qu'il nous offre son meilleur film. Celui de la maturité? Que cela vienne fermer le clapet de ceux qui voient dans ce genre de blockbuster l'infantilisation du cinéma.

par Robert Hospyan

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