Leviathan
Russie, Fédération de, 2014
De Andreï Zviaguintsev
Scénario : Andreï Zviaguintsev
Durée : 2h21
Sortie : 24/09/2014
Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lylia et son fils Romka qu’il a eu d’un précédent mariage. Vadim Sergeyich, le Maire de la ville, souhaite s’approprier le terrain de Kolia, sa maison et son garage. Il a des projets. Il tente d’abord de l’acheter mais Kolia ne peut pas supporter l’idée de perdre tout ce qu’il possède, non seulement le terrain mais aussi la beauté qui l’entoure depuis sa naissance. Alors Vadim Sergeyich devient plus agressif...
EN TOUTE SIMPLICITE
Le Retour, Le Bannissement, Elena : en seulement trois films, Andrey Zvyagintsev a déjà bâti une filmographie ambitieuse, montrant à chaque fois qu’il sait construire des œuvres plastiques fortes tout en donnant une formidable ampleur à des récits symboliques. Ses fables ont la puissance évocatrice des récits ancestraux, nichées dans des écrins formels sans pareil. Quelle (mauvaise) surprise alors de voir ici pour la première fois le réalisateur russe tomber dans ce défaut qu’il avait su jusqu’ici savamment esquiver : la lourdeur. A l’image de son titre colossal, Leviathan souffre d’un esprit de sérieux qui tourne au pompeux. Leviathan raconte la lutte intérieure d’un homme pour sauvegarder sa liberté face à un état qui chercher à le broyer. Nikolay vit comme coupé du monde dans une maison avec sa femme et son fils, et ne croise au cours du film que peu de personnages secondaires. Un personnage et un mode de vie moins ancrés dans une réalité contemporaine que dans un schéma allégorique, celui du mythe et de ses figures symboliques. Il y a dans le film des références au monde de 2014, mais la manière dont Zvyagintsev s’éloigne encore plus du réel que d’habitude rend sa métaphore paradoxalement beaucoup plus pesante.
Il y a pourtant à dire sur cette combinaison d’une histoire à l’apparente simplicité minimaliste et d’un déploiement visuel toujours grandiloquent. Leviathan possède une beauté picturale comme d’habitude remarquable, mais qui à force d’en imposer… s’impose de trop. Que chaque plan, chaque scène bénéficie d’un mouvement de caméra élégant, d’un silence lourd de sens, d’une lumière et d’une photo splendides, que chaque image semble résulter d’un travail titanesque, voilà qui étouffe l’ensemble sous une majesté parfois oppressante. Un univers où aucune place n’est laissée au hasard ou à l’imprevu, où les destins sont régis d’avance et où l’homme se retrouve accablé par la nature, Dieu, la société. De plus, cet esthétisme ne se départit jamais d’une lenteur toute contemplative, rendant de nombreuses séquences aussi splendides qu’assommantes.
Il y a pourtant des fenêtres inattendues dans Leviathan qui permettent de faire rentrer un vent de nouveauté bienvenu, allégeant une allégorie qui menaçait de devenir étouffante. L’ironie que l’on pouvait trouver dans Elena (où l’héroïne éponyme était vue comme une mère parfaite alors qu’elle pillait sa famille), se retrouve ici décuplée et redistribuée dans des scènes à l’humour insoupçonné. Et sur ce terrain-là aussi, Zvyagintsev va loin. La farce politique s’impose dans ce cadre improbable à force de scènes au burlesque cinglant : un politicien corrompu au point d’en devenir plus clownesque que dangereux, des cibles de tir remplacées par des portraits d’anciens dirigeants, etc… De la part d’un pays où l’on sait le prix à payer pour exprimer une opinion politique divergente, le déboulement de cette bravoure en plein film est aussi enthousiasmant que celui de cet humour grinçant. Suffisamment pour alléger un ensemble qui menaçait de crouler son sa propre solennité. Ouf. Ah, et le fait que les protagonistes ressemblent à Christophe Hondelatte et Nikos Aliagas apporte une touche de légèreté supplémentaire, qui est certes totalement extrafilmique, on le concède.