Les Filles d'Avril
Hijas de Abril (Las)
Mexique, 2017
De Michel Franco
Scénario : Michel Franco
Avec : Emma Suarez
Durée : 1h43
Sortie : 02/08/2017
Valeria est enceinte, et amoureuse. A seulement 17 ans, elle a décidé avec son petit ami de garder l'enfant. Très vite dépassée par ses nouvelles responsabilités, elle appelle à l'aide sa mère Avril, installée loin d'elle et de sa sœur. À son arrivée, Avril prend les choses en mains, et remplace progressivement sa fille dans son quotidien... Jusqu'à franchir la limite.
UNE FILLE DIFFICILE
Une jeune ado refuse de dire à sa mère qu'elle vient de tomber enceinte. Absente depuis longtemps, celle-ci revient et découvre la vérité. A bien des égards, elle ne va pas réagir de la manière attendue. Les retrouvailles familiales sont bancales, mais le ton est immédiatement à la bienveillance. Pourtant on devine un sombre mystère dans le passé de cette mère, et comme une ombre planant au dessus de l'autre sœur, mal dégourdie. Avec un tel point de départ, Les Filles d'Avril pourrait emprunter deux voies bien différentes: celle d'un émouvant mélodrame de réconciliation familiale, ou bien (pour ceux qui connaissent les précédents films coup-de-poing de Michel Franco) celle d'une peinture glaçante d'une société latine ultra-violente. Deux pistes familières, chacune à leur manière. Or au final, le film n'a rien du tout de convenu. Peut-être précisément parce qu'il se paye le luxe de ne pas choisir entre les deux, et – pirouette plus rare – de parvenir à les combiner efficacement.
Est-ce parce que le rôle de la mère est ici joué par la charismatique Emma Suarez, l'actrice principale de Julieta d'Almodovar? Est-ce l'utilisation des couleurs chaleureuses dans cette maison au bord de mer ? On croirait en tout cas voir planer l'ombre du cinéaste espagnol sur ce film mexicain, sur cette histoire exclusivement féminine de secrets familiaux et de désirs gonflés. Une référence que l'on attendait pas du tout chez Franco, et de fait, Les Filles d'Avril ne ressemble pas beaucoup à ses autres films. Mais si les éléments du récits y font effectivement écho (l'absence masculine, l'écho entre les générations de femmes, la sexualité, etc), le traitement est quant à lui anti-almodovarien. Le regard de Franco est froid, distancié, presque cruel. Le décalage permanent entre l'émotion qui naît du récit et la tension qui naît de la mise en scène crée un mélange passionnant, car imprévisible.
Le film poursuit sa drôle de route avec des virages narratifs inattendus. Les personnages agissent avec une immoralité dont on ne sait plus trop si on doit rire ou avoir peur. Si Les Filles d'Avril commence par raconter de jolies choses avec tension, il bascule progressivement vers la combinaison inverse, et raconte au final des choses terribles de façon étonnamment apaisée. Et dans chacun des cas: aucune psychologie, aucune explication pour la manière dont les personnages agissent, aucune manipulation sentimentale du spectateur. On ne sait plus alors très bien ce qui nous stupéfait alors le plus: l'incroyable déroulé de l'histoire ou bien le ton complètement inattendu sur lequel tout cela est raconté. Insaisissable, le film est à l'image de son personnage principal: à la fois rude et émouvant.